Longue lettre faisant le bilan de la guerre en attendant la victoire.
Il envoie à son « bien cher Papa » ses vœux pour « l’année 1916, en même temps que toute ma profonde et respectueuse affection, le seul souhait qu’il puisse vous convenir de recevoir : celui de la Victoire française… 1915 aura été pour nos armées une année de sévères et utiles leçons. Nous avons appris la valeur des moyens, nous nous sommes contraints à les avoir, nous avons fait l’apprentissage de leur usage, nous avons enfin discipliné l’ensemble, coordonné les efforts épars de nos spécialistes et habitué jusqu’à un certain point notre commandement et nos états-majors à comprendre la forme nouvelle de la guerre et à se servir des moyens non au hasard mais d’une manière raisonnée. Par ailleurs, la force morale des troupes n’est d’aucune façon atteinte, malgré les immenses pertes éprouvées. La volonté d’en finir par la victoire, le sentiment de notre valeur, l’esprit de sacrifice n’ont vraiment fait que s’accroître dans nos rangs. Les trois grands efforts faits par nos armées pour chasser l’ennemi de notre sol et le poursuivre sur le sien : en Champagne, janvier-février-mars ; en Artois, mai et juin ; en Artois et Champagne, septembre- octobre ne nous ont pas donné certes les résultats décisifs que nous en avons espérés. Mais ils ont montré dans notre force un progrès immense et constant. Ils nous ont prouvé à nous-mêmes, ils ont prouvé à nos ennemis, ils ont prouvé au monde que notre résolution de vaincre ne faiblit pas, que nos moyens s’accroissent sans cesse, et que grandit en même temps notre science de leur emploi…
L’issue de la lutte est moins que jamais douteuse. Sans doute l’ennemi pourra la prolonger encore grâce à son énergie et à sa discipline, grâce surtout à l’extrême et irrémédiable infériorité de notre régime républicain-parlementaire. Mais sa défaite est certaine. Un jour ou l’autre nous l’écraserons, et nous irons sur son territoire le contraindre à réparer le tort qu’il a fait à la Patrie depuis des siècles. Et puis, il semble bien que la Providence soit pour nous : elle évite de nous faire payer cher nos plus lourdes fautes. C’est ainsi par exemple que l’expédition de Serbie qui était une monstruosité stratégique, et qui normalement aurait dû se terminer par un désastre à Strumnitza, se termine simplement en eau de boudin, et c’est bien là n’est-ce pas le moindre prix qu’à la guerre, avec un pareil adversaire, on puisse payer une pareille sottise ?… Je suis persuadé que la sagesse finira par l’emporter dans cette affaire comme dans les autres, et qu’au jour prochain de l’offensive sur notre front qui est le seul important, nous aurons le simple bon sens de ramener de Salonique les bons soldats et les excellents obus que nous avons eu la sottise d’y entasser à la grande joie de nos ennemis. Le but de la guerre n’est pas de creuser des tranchées sur tous les points du globe où il plaira à l’Allemagne de nous faire courir. Le but est de détruire l’ennemi en concentrant tous nos moyens – et nous n’en avons pas trop ! – sur le théâtre d’opérations décisif. Renoncer à l’enfoncer en France et en Belgique, renoncer à repasser la Meuse et à dépasser le Rhin, c’est renoncer à la Victoire. Et puisque, grâce à Dieu, nous n’y renonçons aucunement, la vérité logique et stratégique est de ne pas distraire de ce but essentiel le fantassin ou l’obus qui nous manqueront peut-être pour l’atteindre le jour où nous l’aurons résolu »…
LNC, I, p. 236.
On joint la photocopie d’une lettre à un ami, 29 novembre 1915.