Longue lettre de tranchée dans laquelle le jeune officier brocarde la position de son état-major.
Il rassure sa « bien chère Maman », à propos d’une lettre précédemment envoyée, peut-être trop alarmante sur son état : « N’allez pas croire surtout que je me porte mal ou même médiocrement. Je vais réellement le mieux du monde […]. Seulement j’ai eu huit jours de fatigue et de fièvre, écot payé à ce deuxième hiver de guerre. Me demandant chaque soir si je n’allais pas consentir à me laisser évacuer le lendemain, je différais de vous écrire avant de savoir à quoi m’en tenir. Maintenant, je suis complètement remis et fort content d’en être quitte pour rien du tout. »
Bilan de la situation militaire : « Les événements sont pour le moment sans grand intérêt. On a évacué Gallipoli, et l’on a bien fait. On aurait mieux fait encore de n’y aller jamais. Un jour on évacuera Salonique pour venir attaquer par-ci ou se défendre par-là, et j’en dirai la même chose. Pour le moment, je ne veux plus rien en dire sinon ceci : Songez que les gens qui nous y font rester sont les mêmes qui nous ont fait aller en Serbie, sous prétexte d’empêcher la jonction des Allemands et des Bulgares et de sauver l’armée serbe. Car il faut avoir assez de mémoire pour se souvenir maintenant du but que notre absurde gouvernement donna naguère à cette lamentable expédition. Ils n’ont bien entendu empêché aucune jonction ni sauvé un bataillon serbe ; ils nous ont fait infliger le camouflet bien inutile de cette retraite de Serbie qui eût fort bien pu – ils en conviennent maintenant – finir par un désastre. Alors, aujourd’hui, pour ne pas être obligés d’avouer qu’ils sont des ânes, ils nous font demeurer à Salonique 20 000 hommes de belles et bonnes troupes et combien de millions d’obus, qui, je continue de l’affirmer, n’y servent absolument à rien et ne tuent pas un Allemand. Les Français qui ont pourtant au fond de l’âme quelque bon sens militaire essaient de torturer leur propre raison et de se persuader que c’est un coup superbe que d’être à Salonique à ne rien faire, et comme on ne découvre tout de même aucune raison stratégique valable d’engouffrer là-bas tant d’hommes et tant d’obus, on se console en cherchant à penser que du moins cela ennuie l’ennemi !!! D’abord, je n’en crois pas un mot ! Ensuite quelle stratégie ! Quels principes dans la conduite de la guerre qui consistent à déposer six corps d’armée dans les villes… où on suppose que cela va ennuyer l’ennemi de les y voir !!!
Puissions-nous aux prochains et décisifs assauts des positions allemandes en France et en Belgique, ne pas nous tordre les mains comme nous l’avons fait plusieurs fois déjà – je l’ai vu – devant une dernière ligne de tranchées, en criant “Ah ! si nous avions encore 20 000 hommes d’infanterie fraîche et 3 millions d’obus de plus à leur jeter dessus, nous les enfoncerions !” Et ces 20 000 hommes, et ces 3 millions d’obus sont à Salonique ! contenant à ce moment je le veux bien les assauts de quelques Bulgares ou Turcs que les Allemands leur opposeront alors pour les amuser, tandis qu’eux-mêmes en gens raisonnables ramèneront sur notre front pour nous contenir tout ce qu’ils auront de troupes et de canons disponibles !
Une dernière fois, il n’y a pas plusieurs vérités stratégiques, il y en a une seule qui n’est pas d’ennuyer l’ennemi, mais de le vaincre à l’endroit le plus sensible c’est-à-dire chez nous »…
LNC, I, p. 247.
On joint le n° 1 (Numéro-Programme) du journal Le Lion d’Arras, 1er janvier 1916. Plus un document polycopié, Prescription en cas d’attaque par les gaz, 15 janvier 1916 (une lettre jointe à ce sujet par A. Buquet ?).