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Antoine de SAINT-EXUPERY
La genèse de Citadelle
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Complete Description

La genèse de Citadelle

"mon père était du sang de l'aigle"

3 f. in-4, papier vélin. Encre bleue. Les 2 premières foliotées 1 et 2. Trace de rouille d'un ancien trombone.
Dessins au verso du deuxième feuillet : un buste de Méphisto (?). Ecriture rapide, raturée.
Ebauché en 1936, c'est, "de façon ardente mais syncopée" (Notice de la Pléiade, p. 1396), que le texte fut surtout écrit entre 1941 et 1943. Saint-Exupéry avait le projet monumental d'écrire ou de réécrire La Bible. C'est une poésie du XXe siècle écrite par un aviateur, vue de haut, au dessus du monde.
Nos pages correspondent au dĂ©but du rĂ©cit, dans "la construction du temps". Tout le texte tourne autour du Navire-Citadelle, comme le verbe autour de la Tour de Babel : "Citadelle, je t'ai bĂ¢tie comme un navire", Ă©crit-il. Cet avant-texte est l'essence de la version dĂ©finitive (que l'on retrouve, transformĂ© dans Citadelle, in Å’uvres complètes, PlĂ©iade, II, p. 374 et 384). La poĂ©sie est forte, peut Ăªtre plus prĂ©sente ou plus dĂ©clamatoire mĂªme que dans la version finale. Directe et imagĂ©e, elle interpelle davantage. La lecture Ă©voque l'Arche de NoĂ©, l'Ancien Testament, le DĂ©luge, le bateau les animaux, tout ce rĂ©cit gigantesque, impressionnant, effrayant mĂªme. Saint-ExupĂ©ry nous replonge encore dans le hors-temps, l'immaĂ®trisable, l'abĂ®me. Pourtant, porteur d'espoir, l'individu contre le mal, contre le destin de dieu, l'ange guidant par la lumière, l'Ă©toile de vie.

"Moi j'Ă©teins ce qui crie vers l'abĂ®me. Je reçois les [fissures] du sol. Je calfate le navire. Je refoule dans ma gorge le cri de l'ange. Mon père, qui Ă©tait grand ne le redoutait point, mon père Ă©tait du sang des aigles. Car il est un temps pour fonder et pour recevoir les semences du ciel. Mais il est un temps pour habiter et surveiller la croissance des moissons. Il est un temps pour la foudre qui rompt les [?] dans le ciel mais il est un temps pour les citernes oĂ¹ les eaux rompues vont dormir. Car il est un temps pour Ă©couter la voix de l'ange et refaire le sens de la vie, un temps pour la stabiliser, un temps pour ouvrir la chair au couteau... un temps pour guĂ©rir les blessures. Il est un temps pour l'Ă©ternitĂ© et pour la rĂ©colte.
Moi je redoute dans la citadelle. J'Ă©trangle celui-lĂ  qui prend feu dans la nuit et veut ses prophĂ©ties comme l'arbre en feu quand il Ă©clate et embrasse avec lui la forĂªt. Je hais ce qui change. Je m'Ă©pouvante quand l'immuable revient sur ses bases. Quand le firmament qui règle mes actes, […] que le saphir, plus prĂ©cis[…], lĂ¢che sa comète singulière qui tourmente le sang des hommes et fait lever les Ă©tendards de guerre. Je m'Ă©pouvante quand les demeures des hommes solidement bĂ¢ties sur le dos rassurant des collines, dans la terre essentielle, commencent de trembler comme des vitres et quand, des entrailles du globe, monte ce craquement, ce bruit des chaĂ®nes remuĂ©es […] Je me suis embarquĂ© une fois sur la terre sacrĂ©e avec […] mon peuple. Ils reposaient dans les flancs du navire.[…] Accroupis entre des [armĂ©es] allaitant les enfants, ou pris dans l'engrenage du chapelet de la prière. Ils s'Ă©taient faits habitants du navire. Ce navire s'Ă©tait fait de mĂªme. Quand l'ocĂ©an se souleva et lava les ponts comme une lessive, j'interdis qu'ils [vissent]. J'interdis que l'on Ă©coutĂ¢t Ă  travers les calfats Ă©pais, le chant de la mer. Celui-lĂ  je le dĂ©couvris les yeux grands ouverts, qui entendait de faibles craquements dans les maĂ®tres couples du navire. Si lĂ©gers mais si terribles car inspirĂ© par l'ange Ă  travers cette flĂ»te lĂ©gère il entendait la hache descendre de la mer."
"Je lui dis :- Va dormir. Songe […] Ă  l'amour. A l'orge vert que tu retrouveras changĂ© en Ă©lĂ©ment par le soleil. Va soigner les enfants malades. Va dans les cales me dĂ©nombrer les moutons morts. Occupe-toi de la vie d'ici bas. Il me rĂ©pondit : - C'est la mer. Dieu pĂ©trit la mer. Dieu pĂ©trit notre destinĂ©e. La mer travaille notre navire, l'univers craque autour de nous ainsi qu'une femme en gĂ©sine. J'ai travaillĂ© l'acier dans les usines. Je connais le bruit des rivets qui sautent. Notre postĂ©ritĂ© dieu la demande, n'entends-tu pas? Dieu rĂ©clame ce qu'il a donnĂ©. Je lui dis : - Va dormir. Rentre chez toi. Nous serons pris Ă  l'aube dans un printemps […]. L'essentiel, ce qu'il faut sauver, c'est l'intĂ©rieur. Dieu remue […] pour te tenter. Refuse la tentation. Tu n'as rien Ă  connaĂ®tre de ce qui te dĂ©passe. Oublie tes oreilles. Il me rĂ©pondit :- C'est la mer. Les maĂ®tres couples […]. VoilĂ  tout Ă  coup qu'ils s'arrachent Ă  leur silence essentiel. Ce qui se taisait prend la parole et les montagnes balbutient. Et les ? se mettent en marche. LĂ  regarde... C'est l'eau qui se montrait. Elle suintait Ă  peine de quelques […] disponibles. Un filet mince […] Rien que pour effrayer les hommes. Sinon que l'ange y montrait le doigt de l'abĂ®me... - Tu n'as rien vu, lui dis-je. Il rĂ©pondit :- Je vois. Alors donc je me rĂ©signai Ă  le faire pendre. Je le fis pendre. Le lendemain Dieu s'Ă©tait ravisĂ©. L'immuable redevint l'immuable, et la mer redevint l'ornement du navire. Alors j'autorisai mon peuple Ă  [monter] Ă  nouveau sur les ponts admirer cette mer lisse pour porter le navire. Et ce vent pour renfler les voiles. Et ces astres pour nous guider. Mon père Ă©tait du sang des aigles et supputait le regard du soleil. Moi je guĂ©ris l'orgueil des hommes. Mon père qui Ă©tait grand ne craignait point que l'on communiquĂ¢t avec l'abĂ®me. Moi je sauve l'empire […] par la vendange, car dieu passe comme un vendangeur et ramène les gĂ©nĂ©rations que j'ai purifiĂ©es avec l'or. Mon père lui, forgeait l'empire, et mĂªlait le sang de l'aigle au sang de l'homme."
"Telle de la bontĂ© qui n'est point. J'ai compris qu'il ne fallait point rendre sourd mais changer la voix […] comme la mer aux flans du navire. Ceux-lĂ  peuvent ignorer qui lavent le pont, travaillent aux cuisines ou dans les voiles, mais il est des soins de dieu qui travaillent le navire ainsi qu'une femme en gĂ©sine. Alors tous ils la reconnaissent, Ă  travers le calfat des cĂ´tĂ©s, le chant de la mer. Alors ils s'Ă©pouvantent du craquement des maĂ®tres couples qu'ils croyaient Ă©ternels et durables […].Ainsi les peuples quand les Ă©toiles Ă©ternelles se dĂ©voilent et font un sillage de feu. Quand change l'immuable. Ou quand le sol tremble sur place, fendu de craquelures, […] sous les pas. Quand l'abĂ®me devient abĂ®me. Quand l'inconnu mesure sa force contre la levĂ©e de la mer. L'Ă©toile filante, le pouvoir nouveau, la voix de la terre qui nous dĂ©rangent. Plus grande que nous la voix solennelle de Dieu. Celui-lĂ  qui hurle dans la solitude et communique avec l'abĂ®me. […] assassinĂ©s par un seul puits vide, par le soleil, chargĂ©s en vent de sable, dispersĂ©s leur cargaisons d'or, de minĂ©raux, chacune morte, clouĂ©es au sol par un puits vide, flĂ©tries comme un papillon Ă©pinglĂ©, et rĂ©pandant autour du puits, la nuit, le pollen et l'or de leurs ailes. […] mon père qui Ă©tait juste crut en la justice de Dieu. "Vois un peu, disait-il, il nous fait nous faire entendre de Dieu". C'est alors qu'il creusa lui-mĂªme l'abĂ®me, qu'il jeta lui-mĂªme cette passerelle qui nous Ă©pouvante et que nous rompons, comme Ă  la hache, quand nous guĂ©rissons les blessures dans le dĂ©sert. Quand nous bouchons toutes les entrĂ©es de la nuit Ă  travers les portes de l'angoisse, quand nous jugeons ceux d'entre nous que l'archange inspire.. Mon père fit preuve d'un courage Ă©clatant. Il fit chercher dans les tribus la fille la plus inutile, la plus belle, la plus royale."

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