394
Antoine de SAINT-EXUPERY
Sur le chef dans la société
Estimation:
€10,000 - €14,000
Sold :
€14,157

Lot details

Sur le chef dans la société

Manuscrit autographe. 4 ff. in-4. Vers 1940. L'auteur développe le même concept du chef que dans La morale de la pente (Pléiade, II, p. 29 et 30), mais avec un développement très différent. Ici, c'est un texte en forme de réponse sur la place et le rôle du chef dans la hiérarchie militaire et par extension dans la société humaine et sociale. Comme dans La morale de la pente, l'auteur commence par définir ce que doit être un chef. Il dénonce l'image stéréotypée, convenue de ces hommes dirigeants, ministres, gérants, etc. fumant des gros cigares. Une fois établie la définition du chef, Saint-Exupéry pose plusieurs questions : ne serait ce pas un mythe ? " Est-il souhaitable qu'il s'en trouve et qu'ils puissent agir ? " Pour lui, le niveau absolu du chef, s'il existe, est lié à l'Histoire, que ce soit Bouddha, le Christ ou Marx, qui par leurs idées créatrices ont sauvés l'Homme. La dernière page est une poésie, d'un homme qui est loin de son pays, de sa maison, de ses amours… Poésie simple, élémentaire, celle de la maison France. Merveilleuse écriture de l'exil.

"S'agit d'abord de s'entendre sur la définition.
Une démocratie n'a pas besoin de chef spécifique. Le chef est autre chose qu'un gérant car, que je sache, votre architecte est aussi rigide qu'un autre. Votre président du conseil décide. Votre chef de bureau des douanes, votre président, votre chef de train, votre gérant de restaurant… Je ne vois que chefs. Donc vous n'appelez pas ceux-là des chefs.
Vous jouez bougrement sur les mots en appelant " chefs " ceux qui fument des cigares. Toujours le drame des mots. Au nom d'un mot qui vous déplaît vous refusez " tout ce que je veux dire " comme au nom d'un mot qui vous plaisait (démocratie) vous refusiez aussi ce que je voulais dire. Moi je ne veux plus de vos mots. Parlons donc d'abord sur les concepts.
Je ne sais pas de qui vous parlez car ceux qui peuvent éventuellement nous […] en fumant de gros cigares, sont, de toute évidence, des gérants. Les chefs de bureau, les directeurs de banque, les ministres, qui peut-être jouent mal leur rôle et le devraient bien jouer mais dont le rôle est acquis en soi."
"Il est bien évident que votre remarque ne s'applique pas à Bonaparte, Mahomet, Daurat, Charlemagne, Christophe Colomb sur son navire, Hitler même, […] il est évident qu'il ne reste plus rien du chef s'il fume de gros cigares. […]
" la démocratie n'a pas besoin de chef… " je ne comprends pas. Car il est évident, et admis par tous que hors la civilisation anarchiste, un Roosevelt comme un gérant de restaurant sont considérés comme indispensables."
"II. Quand vous me dites " l'action d'un chef peut s'éteindre avec lui ". Quand vous me dites " le chef est celui qui crée un esprit de corps et une fidélité " il est bien évident qu'il ne s'agit point de création. Il s'agit du bon gérant qui autour de l'objet géré exalte l'esprit de corps ou la fidélité. Il ne change rien. Il amplifie. (car s'il avait créé par exemple l'objet géré, ou un monde neuf de sentir ou penser par rapport à lui, il est évident que cet acquis resterait ajouté au patrimoine de l'homme. Un objet nouveau serait vu. Des sentiments neufs seraient éveillés (la charité))."
" III. Je ne vous ai jamais dit " ceux que vous appelez les chefs ont pouvoir de changer les hommes. " J'ai pris des précautions de sioux, en vain, pour dire " ceux que j'appelle des chefs sont ceux qui ont pouvoir de changer les hommes. " Ceci étant une définition, c'est mon droit de la poser. (si j'use d'un mot qui peut couvrir autre chose c'est la faute du langage car il en sera toujours ainsi si je n'ai pris la précaution de définir. Or j'ai défini…)
Cette définition posée il s'en suit deux questions.
a) "un tel chef peut-il quelquefois se sentir ou est-ce un mythe ? (et non toujours question qui n'a point de sens)"
b) "est-il souhaitable qu'il s'en trouve et qu'ils puissent agir.
c) "Il est un homme chrétien, un homme bouddhiste, un islamique, un naziste. Il est une mentalité dominicaine, une mentalité marxiste, une mentalité socratique […] Il était un " esprit aéropostal", […] et pour trouver des maisons de commerce où règne " l'esprit de la maison"… Autour d'un simple grand chirurgien se crée un " esprit " chez les internes. Une véritable petite civilisation. Un tel homme peut exister."
"De même que votre […] du chef couvrait les gérants à cigare et les gérants gâteux, la mienne, qui refuse ceux-là (je le dis des gérants plus ou moins tyranniques : la tyrannie n'a rien à voir avec la notion de chef. Certains chefs peuvent agir par le gendarme comme d'autres par l'éloquence. Mais ni le gendarme ni l'éloquence ne suffisent à justifier le nom de chef, un chef peut être démuni des uns et privé de l'autre) comme évidemment toute faculté créatrice qui modifie l'homme. Bouddha, le Christ, Marx, tous ceux qui ont sauvé l'homme par leur énoncé."
"Amour de mon pays… Où vais-je le remplacer par amour de l'Homme ? Mais je ne crois pas en ces grands fantômes. […] Le dieu d'une religion n'est point le même pour l'archevêque et pour le sacristain. A l'étage du sacristain il est devoir d'allumage des cierges. L'amour de mon pays garde un sens à tous les étages. Il devient amour de la maison. Il est pétri de l'amour des maisons et il éclaire l'amour des maisons de mon amour. J'aime ma maison dans mon pays et le pays de ma maison. Ma maison reçoit sa lumière d'être de France. Ce n'est point une maison de n'importe où. Et la France reçoit sa lumière de ma maison. Elle est le pays de ma maison. L'amour de mon pays devient amour des hommes de mon pays. Et il est un étage plus haut encore où il devient amour des hommes. Mais cet amour des hommes fonde son unité sur la diversité des matériaux, de cascade en cascade".

Contacts

Eric BAILONI
Sale Administrator
ebailoni@artcurial.com

Absentee bids & telephone bids

Kristina Vrzests
Tel. +33 1 42 99 20 51
bids@artcurial.com

Actions