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Louis RENARD
POISSONS, ECREVISSES ET CRABES, DE DIVERSES COULEURS ET FIGURES EXTRAORDINAIRES, QUE L'ON TROUVE AUTOUR DES ISLES MOLUQUES, ET SUR LES COTES DES TERRE
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€100,000 - €120,000
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POISSONS, ECREVISSES ET CRABES, DE DIVERSES COULEURS ET FIGURES EXTRAORDINAIRES, QUE L'ON TROUVE AUTOUR DES ISLES MOLUQUES, ET SUR LES COTES DES TERRE

Amsterdam, Louis Renard, [1719]. 2 tomes
en un vol. in-folio (hauteur : 39,7 cm) de 47 et 62 ff.
(faux-titre, titre en noir et rouge, 2 pp. de dédicace avec les armes royales gravées, 2 pp. d'avertissement, 43 pl. ; faux-titre, titre en noir et rouge, 2 pp. d'avertissement, 57 pl. dont une double montée sur onglet, 4 pp. de table), veau brun, double filet à froid en encadrement sur les plats, dos à nerfs orné à petits fers dorés, pièce acajou (reliure anglaise de l'époque).

EXEMPLAIRE EXCEPTIONNEL DU PREMIER LIVRE SUR LES POISSONS ET CRUSTACÉS ILLUSTRÉ EN COULEURS, ACCOMPAGNÉ DE 98 AQUARELLES ORIGINALES DE SAMUEL FALLOURS.

Édition originale et premier tirage de cet ouvrage d'une insigne rareté, panorama luxuriant de la faune aquatique des Indes orientales. Dédiée au roi George Ier, elle fut publiée par Louis Renard (vers 1678 - 1746), éditeur et libraire d'origine française installé à Amsterdam en 1703 - sa famille, huguenote, s'était réfugiée aux Pays-Bas après la révocation de l'Édit de Nantes ; il était aussi l'espion de la Couronne britannique dans cette ville.
L'ouvrage est illustré de 100 PLANCHES GRAVEES EN TAILLE DOUCE ET COLORIEES, REPRESENTANT 460 ESPECES TROPICALES "d'après nature" (415 poissons, 41 crustacés, deux phasmes, un dugong et une sirène) toutes du bassin Indo-Ouest Pacifique, à l'exception d'un poisson-chat vivant dans les eaux sud-américaines. La dernière planche est à double page.

Cette illustration remarquable, tant du point de vue artistique qu'ichtyologique - même si sa rigueur scientifique, notamment dans le choix des couleurs, est depuis longtemps contestée -, fut réalisée d'après deux recueils de dessins coloriés, utilisés respectivement pour illustrer les deux tomes de l'ouvrage: l'un fut composé entre 1694 et 1706 à la demande de Balthasar Coyett (vers 1650 - 1725), gouverneur des îles Banda puis d'Amboine pour la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC) ; l'autre fut élaboré entre 1706 et 1712 pendant le mandat du successeur de Coyett à Amboine, Adriaen van der Stel (vers 1665 - 1720).
Le premier recueil est l'œuvre d'Isaac Johannes Lamotius (1646 - 1718), un ancien gouverneur de l'île Maurice pour la VOC exilé dans les îles Banda, par ailleurs savant ichtyologiste et peintre distingué. Le second est dû à Samuel Fallours, un soldat au service de la VOC, né vraisemblablement à Rotterdam, qui résida à Batavia de 1703 à 1705 environ, puis à Amboine de 1706 à 1712, où il fut garde principal du fort Victoria et assistant du clergé pour la consolation des malades, avant de rentrer aux Pays-Bas en août 1713. Dessinateur et peintre de grand talent, c'est durant son séjour à Amboine que Fallours mit ses aptitudes au service des gouverneurs de l'île et des personnages influents entichés des extraordinaires créatures des mers qu'il représentait, à l'instar du pasteur François Valentijn (1666 - 1727) exerçant alors son ministère à Amboine.
De ces deux artistes, l'histoire a surtout retenu le second et Louis Renard ne fut d'ailleurs pas seul à mettre sous presse des dessins de Fallours. Hendrik Ruysch fut le premier à se servir de ceux-ci pour illustrer d'une " Collectio nova piscium Amboinensium " le début de son Theatrum universale omnium animalium (1718). Quelques années plus tard, François Valentijn fit de même pour le tome 3 de son Oud en Nieuw Oost-Indiën (1726). L'abbé Prévost, enfin, en fit reproduire dans l'Histoire générale des voyages (1746 - 1780), d'après les illustrations chosies par Valentijn. Mais c'est incontestablement le livre de Renard qui, avec ses couleurs éclatantes, offre le reflet le plus exact de l'époustouflante production de l'artiste.

La rareté de cet ouvrage est proverbiale :
Louis Renard n'en fit en effet imprimer que 100 exemplaires et colorier seulement 64 (on sait que 36 jeux de planches n'avaient toujours pas été mis en couleurs en 1753 et qu'ils furent réutilisés pour la deuxième édition du livre publiée en 1754, à Amsterdam, par Reiner et Josua Ottens). Or, seuls 16 de ces 64 exemplaires ont pu être repérés à travers le monde d'après l'étude de référence réalisée par Theodore W. Pietsch (Fishes, crayfishes, and crabs, 1995) : 14 dans des bibliothèques institutionnelles et 2 dans des bibliothèques particulières (l'une en Allemagne, l'autre au Japon). Le volume présenté ici, resté oublié, est donc L'UN DES TROIS SEULS EXEMPLAIRES AUJOURD'HUI CONNUS EN MAINS PRIVEES.

La correspondance de Louis Renard au grand naturaliste et collectionneur britannique Hans Sloane (1660 - 1753), permet de savoir que les 30 premiers exemplaires de l'ouvrage furent expédiés à Londres au début de l'année 1719 : 5 pour le roi George, le dédicataire, et 25 pour Sloane et ses amis. Or il est très vraisemblable que notre exemplaire ait fait partie de cette livraison initiale. En effet, son premier possesseur connu, grâce à son ex-libris, est Henry Grey (1671 - 1740), 1er duc de Kent, l'un des hommes les plus puissants de Grande-Bretagne au moment de la publication de l'ouvrage, puisqu'il était à la fois lord garde du sceau privé et membre du conseil de régence mis en place pendant les séjours du roi en Hanovre dont il était l'électeur. On imagine donc volontiers que le duc de Kent fut une des premières personnalités du royaume à posséder le livre de Louis Renard. Un siècle plus tard, Thomas Philip de Grey (1781 - 1859), qui fut notamment membre du Conseil privé du roi et premier lord de l'Amirauté, fit apposer son propre ex-libris sur le contreplat. Ce descendant du duc de Kent, comme lui chevalier de l'ordre de la Jarretière, était propriétaire de Wrest Park, célèbre demeure de la maison Grey dans le Bedfordshire, dont le mobilier, les objets d'art ainsi que la bibliothèque furent dispersés aux enchères au moment de sa vente en 1917.
Acquis dans des circonstances et à une date oubliées par un membre de la famille qui le possède encore aujourd'hui, cet exemplaire fut précieusement complété dans les années 1950 de 98 AQUARELLES ORIGINALES DE SAMUEL FALLOURS, D'UNE FRAICHEUR ÉCLATANTE.

Ces aquarelles sont peintes sur huit feuillets de peau de vélin mesurant 30,2 à 30,5 x 22,2 à 23,9 cm.
Sept feuillets sont numérotés (1-6, 8) et celui qui ne l'est pas porte en haut un titre manuscrit à l'encre brune de six lignes identiques aux 12 premières lignes du titre de l'ouvrage de Louis Renard (avec quelques différences d'orthographe et de ponctuation). On distingue sur les bords des traces de réglure à la mine de plomb.
Les aquarelles, réparties inégalement sur une seule face de chaque feuillet (9 sur le f. titré ; 10 sur le f. 5 ; 11 sur les ff. 4 et 8 ; 14 sur les ff. 2, 3
et 6 ; 15 sur le f. 1), représentent 89 poissons et 9 crustacés tropicaux qui figurent tous dans l'ouvrage, majoritairement dans le premier tome (I, pl. 1, 2, 3, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 16, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 30, 31 et 33?; II, pl. 33, 48, 51, 52, 53 et 55). Ces peintures, à l'exception des neuf illustrant le feuillet titré, sont numérotées en deux séries continues (1-80 et 93-103), et chacune est accompagnée d'une légende (même main - du début du XVIIIe siècle - et même encre que le titre et la foliotation) reproduisant, à quelques nuances orthographiques près, la légende imprimée correspondante. La rupture constatée dans la foliotation et dans la numérotation des figures montre qu'au moins un feuillet - numéroté 7 et contenant 13 aquarelles - a disparu.
Les planches de l'ouvrage et les aquarelles présentent des différences notables : l'ordre des espèces n'est pas le même, tout comme la "mise en page" des figures ; l'échelle de reproduction n'est pas toujours identique ;
de nombreux détails de dessin varient ; les couleurs sont souvent dissemblables ou n'ont pas les mêmes nuances. Ces premières constatations permettent d'affirmer que ces peintures ne sont pas de simples copies des planches de l'ouvrage mais bel et bien des œuvres originales représentant les mêmes espèces.

Or, la comparaison de nos aquarelles avec les recueils indubitablement attribués à Samuel Fallours, permet de les rattacher avec certitude à la production de cet artiste d'exception. Le docteur Theodore W. Pietsch, professeur d'ichtyologie à l'université de Washington et conservateur au Burke Museum of Natural History and Culture, qui étudie depuis plus de trente ans l'œuvre du peintre, a bien voulu nous confirmer cette attribution, considérant même que les textes sont très certainement de sa main. Ces huit feuillets constituent donc une découverte historique et artistique majeure.
Il existe, ou exista, différents recueils d'aquarelles de poissons et crustacés des Indes orientales réalisés au début du XVIIIe siècle et liés plus ou moins directement, soit à l'ouvrage de Louis Renard ou à ceux de Ruysch et Valentijn cités plus haut, soit au succès remporté par les "curiosités" que peignait Samuel Fallours sur l'île d'Amboine. C'est ainsi que le professeur Pietsch a pu recenser et a savamment étudié dix séries de dessins coloriés, dont trois qui ne sont pas de Samuel Fallours : deux sont en effet dues à Isaac Johannes Lamotius - le recueil de Balthasar Coyett [1] et un autre ayant appartenu à Cornelis de Vlamingh [2] - et l'autre est une copie du recueil Van der Stel, réalisée à Hanovre vers 1717 pour le baron von Bülow [3]. Parmi les sept autres, toutes œuvres de Samuel Fallours, trois ont disparu - les deux séries ayant servi à illustrer les livres de Hendrik Ruysch [4] et de François Valentijn [5] ainsi qu'une autre apparue dans la vente Pollen en 1887 [6]. C'est ainsi que seuls quatre recueils de Samuel Fallours sont encore existants : celui d'Adriaen van der Stel (434 sujets, conservé à la Gottfried Wilhelm Leibniz Bibliothek - Niedersächsische Landesbibliothek) [7], celui de Hans Sloane (460 sujets, découvert en 1985 à la British Library) [8], celui de la bibliothèque Von Behr (391 sujets, collection privée) [9] et celui de Theodoor Gerard van Lidth de Jeude (456 sujets, collection privée) [10].
Les feuillets présentés ici, restés inconnus des chercheurs, constituent donc L'UNE DES TROIS SEULES COLLECTIONS D'AQUARELLES DE SAMUEL FALLOURS ACTUELLEMENT EN MAINS PRIVEES.

L'histoire de ces huit feuillets, qui furent découverts fortuitement à Paris au milieu du XXe siècle, est malheureusement inconnue et ceux-ci ne portent aucune indication manuscrite qui permette de la reconstituer (seul le feuillet titré porte au verso le chiffre 160 tracé plus tardivement à l'encre noire). On serait évidemment tenté de considérer que ces aquarelles proviennent des trois recueils de Fallours aujourd'hui disparus. Cependant, il faut noter que les poissons reproduits par Hendrik Ruysh ne sont pas les mêmes (on remarque néanmoins une certaine similitude dans la manière de représenter les sujets et de les mettre en page) et que la collection utilisée par François Valentijn, considérée comme détruite lors du bombardement de Rotterdam en mai 1940, était, en tout état de cause, légendée en néerlandais ancien. Quant au recueil présenté à la vente Pollen en janvier 1887, dont on ignore depuis la destinée, sa description laisse à penser que ses aquarelles n'étaient pas légendées mais seulement accompagnées d'une liste nominative. Enfin, il convient de préciser qu'aucun de ces trois recueils ne semblent avoir été peint sur peau de vélin.


Bel exemplaire. Chaque planche étant protégée dès l'origine par une serpente en papier vergé, les couleurs sont restées très vives. Déchirure transversale partiellement restaurée atteignant une nageoire, sans manque, à la planche 12 du tome I. Déchirures marginales à 8 planches du tome I et à 3 planches du tome II dont la double au niveau du pli central. Quelques taches, rousseurs et brunissures. Reliure anciennement restaurée (mors, coiffes, coins et coupes). Frottements et épidermures, début de fente aux mors, deux petits manques de peau dont un au dos.
Les huit feuillets d'aquarelles portent au dos, en bordure, des traces anciennes de colle. Les bords ont été découpés (ou peut-être redécoupés) de manière irrégulière.

Provenance :
Henry Grey (1671 - 1740), 1er duc de Kent, avec ex-libris armorié gravé.- Thomas Philip de Grey (1781 - 1859), à Wrest Park, avec ex-libris armorié gravé.- Collection particulière française.

Bibliographie :
Theodore W. Pietsch, Fishes, crayfishes, and crabs : Louis Renard's natural history of the rarest curiosities of the seas of the Indies, 1995.- Samuel Fallours, Poissons tropicaux des Indes orientales, Taschen, 2010
(fac-similé du recueil du baron von Bülow avec un commentaire historique de
Theodore W. Pietsch).

Nous remercions vivement le professeur Theodore W. Pietsch de son aimable concours dans l'étude de cette collection inconnue d'aquarelles de Samuel Fallours.

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