Ce recueil manuscrit met en évidence les influences et centres d’intérêt du Général dans la seconde moitié de sa vie alors qu’il est devenu, du fait de tout ce qui n’est plus utile de préciser, le « Premier des Français ».
En 1946, voyant que le régime des partis, tel un mort-vivant, s’agite de nouveau en France et qu’il lui sera difficile d’imposer sa conception politique d’un exécutif fort, Charles de Gaulle démissionne de sa fonction de Président du gouvernement provisoire. Les premières citations adoptent ainsi une tonalité amère qui s’applique bien aux circonstances : « La multitude aime la pluralité dans le gouvernement. Les sages y aiment l’unité. » (Joseph Joubert) ou encore « Le pouvoir qui se dégrade n’obtient point merci de ses ennemis. » (Chateaubriand). Un peu plus loin : « Politiciens de l’impuissance, / Radiodiffuseur du sommeil, / Stylographes de la décadence,
/ Farfadets de la décadence. » ou « Les baladins de la politique. La politique de la guitare. » « Socialiste : Parti du lâche soulagement. Modérés : Concours à acheter. Trahisons à vendre. Radicaux : Places ! Places ! (« places » au pluriel, naturellement !) Mouvement républicain populaire : Enfants de chœur qui ont bu les burettes. »
Nous retrouvons également plusieurs considérations liées au temps qui passe, ainsi en 1953 : « J’ai soixante-trois ans. Désormais tout ce qui se rapporte à moi s’organise en fonction de ma mort. », ou encore « Instant, arrête-toi tu es si beau ! » (Faust de Goethe) et enfin, en 1967, comme pour se rassurer : « À 89 ans, Sophocle écrit Œdipe à Colone. / À 80 ans, Goethe écrit son Grand Faust. / À 97 ans, le Titien peint La Descente de la croix. / À 85 ans, Verdi compose son grandiose Te Deum. / Monet, Kant, Voltaire, Chateaubriand, Hugo, Tolstoï, Shaw, Mauriac, etc., octogénaires, poursuivent une œuvre admirable. / À 90 ans, le doge Dandolo assiège et prend Constantinople. / Ce sont des exemples qu’on se cite à soi-même pour se donner le change sur son âge ! »
Du point de vue des influences, Chateaubriand est nettement surreprésenté : « Ce n’est pas tout de naître, pour un grand homme, il faut mourir », « La politique fait des solitaires, comme la religion fait des anachorètes. », « Mener les Français à la réalité par les songes. C’est ce qu’ils aiment. » ou encore : « Tout oublier, mépriser tout et mourir. »… Notons également Charles Péguy : « Aujourd’hui n’est pas le lendemain
d’hier. Il est, au contraire, la veille de demain. » ; Barrès : « Quel est donc cet appel au néant ? Quel est ce roi des Aulnes ? » ; Lamartine : « Le règne de Napoléon ne fut qu’une dure discipline imposée à une nation. », apparaissent également Renan, Vauvenargues, Buffon, Rivarol, Baudelaire, Pascal, Saint-Augustin, mais aussi, moins attendue, Agatha Christie : « Il n’y a que deux sortes de personnes qui se moquent absolument du qu’en dira-t-on : les vagabonds et les grands seigneurs. » ou encore Gide : « Il n’est pas d’œuvre d’art sans participation démoniaque. » auquel de Gaulle ajoute : « Cela est vrai aussi de l’action. »
Les considérations sont essentiellement historiques ou politiques, entremêlées d’une certaine contemplation romantique pour les civilisations perdues : il reprend ainsi à Chateaubriand : « Rome est toujours la grande dépouille de l’univers. » ; « Byron appelle Rome la Niobé des nations, “privée de ses enfants et de ses couronnes.” », Gobineau appelait la Méditerranée « la grande entremetteuse », « les forêts précèdent les civilisations. Les déserts les suivent. » toujours de Chateaubriand.
LNC, III, p. 1173 à 1187