Longue lettre écrite des tranchées.
Il n’est « toujours pas capitaine », car on ne remplace que les officiers « tués, disparus, ou promus à un grade supérieur. Les blessés ne sont pas remplacés […]. Quand je suis revenu au 33e, le colonel a de suite adressé une proposition pour moi, mais on la lui a retournée, car les nominations à titre temporaire venaient d’être suspendues »…
Quant à la situation militaire : « Ici nous ne perdons jamais un pouce de terrain, mais nous en gagnons souvent un peu. Mais c’est bien la guerre de siège. Nous attendons paisiblement la décision dans le Nord où avec une ténacité sans faiblesse nous repoussons et contre-attaquons l’ennemi. Les Allemands ont mis sur pied depuis le 1er novembre une sorte d’armée nouvelle », avec des recrues vite formées pour combler leurs effectifs : « Ils disposent ainsi pour le moment d’une certaine supériorité numérique dont ils usent avec fureur. Mais ils n’ont nulle part acquis le moindre résultat. Tout ce qu’ils ont pu nous prendre (passage de l’Yser, Wailly, Dixmude) leur a été repris aussitôt. […] pour nous contenir ils doivent dépenser contre nous ce qu’ils destinaient aux Russes. La victoire ne fait aucune espèce de doute, et si l’on s’impatiente parfois, que l’on pense à la certitude que nous avons de l’alliance du Temps. Pourtant, il ne faut pas se dissimuler que l’Allemagne, même envahie – et elle l’est –, résistera sur son territoire avec la dernière énergie. Elle dispose d’un gouvernement très solide et très résolu, d’un commandement extrêmement actif, de grosses réserves d’hommes (bien diminuées maintenant il est vrai), de places solides et de lignes de défense préparées de longue main, mais la solution est moins que jamais douteuse. Il fallait aux Russes pour entrer en action trois mois au moins ; durant ces trois mois les Allemands et les Autrichiens avaient bien espéré s’emparer de toute la ligne de la Vistule et y attendre l’écrasement des Français. Rien de tout cela n’a réussi. […]
Notre existence ici est assez monotone. Nous passons la majeure partie de nos jours dans les tranchées que nous aménageons de notre mieux. L’ennemi attaque très rarement et quand il le fait n’insiste pas car nos fils de fer, trous à loups, grilles etc. l’arrêtent avant même souvent que nous puissions le voir. De notre côté nous faisons la guerre de sape et occupons de temps en temps une tranchée ennemie, mais cinquante mètres derrière il y en a une autre. De temps en temps, la nuit surtout, ou au moment des relèves, fusillades épouvantables d’une tranchée à l’autre, sans aucun résultat bien entendu. Des deux côtés, le reste du temps, des observateurs derrière des créneaux qui voient surtout ce qui dépasse le parapet de l’ennemi, et par-ci par-là dans les bois où nous sommes un bon tireur monté la nuit dans un arbre et caché dans les feuilles, qui, le jour venu, tire quelques coups de fusil dans la tranchée adverse, descend bien vite. En première ligne, très peu d’obus, car les artilleries craignent d’attraper en même temps les leurs. Mais en deuxième ligne et en réserve, force coups de canon dont on se gare le mieux possible en s’enfonçant sous terre. Tout le monde est gaillard et disposé à l’offensive. Je vous assure que nous n’avons pas du tout des âmes de vaincus »…
LNC, I, p. 109.
On joint une L. A. S. d’Henri de Gaulle à son fils Charles, Paris, 4 août 1914 (4 p. in-8), donnant des nouvelles de ses autres fils au front.