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Alors que la postérité a délibérément gardé de Jules Bastien-Lepage l'image d'un peintre de portraits et de scènes paysannes, notre tableau vient nous rappeler l'artiste complet qu'il fut, malgré sa trop courte carrière.
Fils d'agriculteurs modestes, notre artiste, en seulement dix années d'activité, réussit à se faire une place dans le paysage artistique français et international. " Le petit-fils de Courbet et de Millet " comme aimait à le décrire Emile Zola, se forma dans l'atelier d'Alexandre Cabanel. Mais si son art évolua vertigineusement aux côtés de son maître, il ne se convertit véritablement jamais à sa manière et témoigna au fil de ses créations d'une rare liberté stylistique, interdisant de le classer dans quelque courant contemporain. Se référant souvent à ses ainés réalistes, se rapprochant parfois de ses contemporains naturalistes ou empruntant la liberté de touche des Impressionnistes, Jules Bastien-Lepage fut un artiste inclassable et indépendant à une époque où les mouvements collectifs permettaient aux artistes de se faire entendre et à leurs tableaux de se faire voir.
Ses premiers succès lui permirent d'entreprendre quelques voyages. D'Angleterre, de Suisse ou d'Italie, il rapporta des paysages, des scènes de rue à mi-chemin entre le portrait et la scène de genre, démontrant qu'il ne se limitait pas à réaliser portraits de famille et peintures rurales figurant Damvillers, son village natal.
En 1883, alors que la maladie le frappe soudainement, il passe l'été à Concarneau sur les conseils de ses médecins afin de s'y reposer. N'abandonnant pas pour autant ses crayons et pinceaux, notre artiste s'essaye à la marine et multiplie les études de mer et de bateaux. La séduisante œuvre que nous présentons s'inscrit dans ce corpus.
Avec des empâtements et une touche qu'Edouard Manet tout juste décédé n'aurait pas reniés, il réalise une impressionnante marine confinant à l'étude de ciel. La frêle embarcation est prise dans la profondeur des vagues, le vent semblant vouloir arracher la trop petite voile cédant presque déjà à la pression, les sombres nuages prenant possession du ciel ne présageant pas l'arrêt des assauts répétés du vent. Le voilier ne pourra sans doute pas tenir. Et dans une vision prémonitoire, liant son destin à celui de ce bateau accouché sur la toile, Jules Bastien-Lepage, comme ce dernier ne pouvant résister à cette tempête aux trop puissantes bourrasques, succomba des suites de sa maladie l'année suivante, nous laissant une œuvre majeure pour l'histoire de l'art, récemment remise en lumière, ayant inspiré les plus célèbres artistes modernes à sa suite.