Comment:
Versions connues :
- Moscou, Musée Pouchkine des Beaux-Arts, inv. 949 (11,5 x 10 cm). Fond bleu, panneau découpé, annotation postérieure '[RE]INE DE [FR]ANCE / CLA[UDE]' (voir A. Dubois de Groër, 'Corneille de La Haye dit Corneille de Lyon'. 1500/1510-1575, Paris, 1996, no 16).
- Collection Lambert, New York ; puis Vente Christie's New York, 2 juin 1988, lot 114 ; puis vente Christie's Londres, 13 décembre 2000, lot 55 (16,2 x 14 cm). Fond vert, panneau aux dimensions d'origine, avec mains et petit chien.
Si les portraits allégoriques et mythologiques sont nombreux à la Renaissance et au XVIIe siècle, les représentations de personnages réels en saint homme ou en sainte femme sont rares et même spécifiquement interdites par le concile de Trente. En général, soit il s'agit en réalité de figures de fantaisie et non de portraits, soit les attributs d'un saint sont des modifications postérieures. Ainsi, le portrait d'une dame (probablement Catherine Sforza) peint par Sandro Botticelli vers 1475 a été repris au siècle suivant de façon à le transformer en l'image de Sainte Catherine (Altenburg, Lindenau-Museum). De la même manière, le portrait présumé de Catherine d'Aragon par Michel Sittow a été postérieurement doté d'une auréole (Vienne, Kunsthistorisches Museum). Le panneau que nous présentons constitue le seul exemple connu d'un tel changement concernant une œuvre française. À une date qui reste à déterminer, un peintre est intervenu pour rajouter une fine auréole autour de la tête de la jeune femme et métamorphoser le petit chien qu'elle tient dans les bras en agneau, attribut traditionnel de Sainte Agnès. Le tableau était peut-être alors considéré comme représentant Agnès Sorel, maîtresse de Charles VII.
C'est le nom de la reine Claude de France, épouse de François Ier, que porte la version autographe de notre portrait à fond bleu conservée à Moscou et dont la forte rognure a fait disparaître les mains et l'animal. Il est en revanche intact dans la troisième version préservée, comme la nôtre à fond vert, aujourd'hui en mains privées. C'est un petit King Charles, semblable à celui que tient Marguerite d'Angoulême, reine de Navarre, dans son portrait dessiné par François Clouet vers 1540 (Chantilly, inv. MN 44).
D'après le vêtement de la dame, elle a également posé pour Corneille de Lyon vers 1540, à l'époque où l'artiste, fort de son titre de peintre du Dauphin (futur Henri II), avait à peindre les gentilshommes et les dames de la cour, les princes du sang et les membres de la famille royale. Ceci rend impossible de voir ici la reine Claude, morte en 1524. Le nom de la jeune femme reste à découvrir, mais sa tenue riche et originale et son attitude indiquent une personne de haute naissance et occupant à la cour une position enviée. L'un des rares modèles féminins à fixer le spectateur, elle est également l'une des rares à avoir ses mains visibles et la seule à tenir un petit chien. La dame est vêtue d'une robe de soie bleue dont le chatoiement est rendu grâce aux larges réserves qui laissent percevoir la préparation crayeuse. Le décolleté carré est bordé de galons mêlant les fils d'or, les passements bleus, les petites perles et les pompons noirs. Les cheveux clairs de la jeune femme sont serrés dans un bonnet de soie caractéristique de la mode française, avec un voile de velours noir. Des cottoires (colliers) délicates complètent la toilette.
Si la version de Moscou semble légèrement plus spontanée que les deux autres, la ressemblance parfaitement préservée, la justesse de l'expression, la douceur et le fondu de la touche, l'exécution empressée des détails sans la minutie décorative qui distingue les copies d'atelier, l'attention particulière portée aux iris permettent d'attribuer à Corneille lui-même la réalisation de notre panneau. Plusieurs portraits que l'artiste avait tiré à cette époque des personnes les plus en vue à la cour existent en effet en plusieurs exemplaires, Corneille devant pouvoir satisfaire de nombreuses commandes. La facture virtuose, le coloris clair et brillant, et surtout la grâce, la mélancolie et le regard interrogateur de la jeune femme, sans doute une intime de la Dauphine Catherine de Médicis, font de ce portrait l'une des œuvres les plus attachantes du maître lyonnais.
Nous remercions Madame Alexandra Zvereva de nous avoir aimablement confirmé l'authenticité de ce portrait par un examen de visu et pour la rédaction de cette notice.