Comment:
Gravure :
Par Raphaël Urbain Massard, 1816
En 1795, Gérard connaissait son premier succès au Salon en exposant Bélisaire, reprenant un des sujets emblématiques de son maître Jacques-Louis David et livrant aux spectateurs l'image saisissante du général aveugle portant son jeune guide se détachant sur un fond de soleil couchant. De format modeste (91 x 74 cm), cette toile marqua un tournant dans la carrière du peintre qui s'attacha à lui réaliser un pendant près de 20 ans plus tard en représentant un autre célèbre vieillard aveugle de l'Antiquité: Homère.
Annoncé pour le Salon de 1814, Homère et la fille du berger Glaucus ne sera pas exposé et la toile sera finalement détruite par le peintre, qui procédait parfois ainsi lorsque l'un de ses tableaux ne lui convenait pas. La gravure de Massard de 1816 nous permet aujourd'hui d'en connaitre la composition complète. Le fragment que nous présentons est celui du buste de la fille du berger Glaucus, Euplocamie, sur l'épaule de laquelle le poète pose sa main. Un autre fragment de ce tableau, celui du visage d'Homère, a été redécouvert et exposé par la galerie Foirien-Néouze en 2006(1). Les dimensions respectives de ces deux fragments se répondent logiquement si l'on considère leurs emplacements dans la composition définitive et laissent penser que L'Homère de Gérard était d'un format similaire à celui du Bélisaire(2).
L'épisode de la vie d'Homère choisi par Gérard est peu connu : le poète aveugle, se rendant sur l'ile de Chio pour y punir un scribe peu scrupuleux qui s'appropriait ses récits, fut débarqué et abandonné là par l'équipage du navire. Il erra pendant deux jours sur l'île avant d'être secouru par le berger Glaucus. Gérard fait ici écho à l'œuvre de son ami le poète Népomucène-Louis Lemercier dont le poème" Homère " publié en 1800 mentionne la fille de Glaucus, Euplocamie. Il représente la jeune fille s'interposant entre le poète aveugle et les flots tumultueux. Dans un courrier adressé à Gérard le 17 mai 1814, Lemercier regrette de n'être pas allé visiter l'atelier du peintre où il aurait vu le tableau s'inspirant de son poème(3).
Charles-Paul Landon cite l'œuvre dans son commentaire du Salon de 1814 et conforte l'identification de notre fragment, mentionnant les cheveux bruns de la jeune bergère, sa tunique jaune et saluant " une opposition piquante, celle de la figure de la jeune fille et de la teinte lumineuse du nuage sur laquelle cette figure ressort avec beaucoup de vigueur(4) ". Le doux visage de cette jeune fille encadré de boucles brunes annonce celui de l'une des futures héroïnes de Gérard, Corinne au cap Misène (1819-1821, Lyon, musée des Beaux-Arts) et illustre à merveille les vers de son ami Lemercier décrivant Euplocamie:
" Vierge qui de l'aurore effacerait les roses ;
Son éclat est celui des fleurs à peine écloses(5) "
1. Huile sur toile, 25,50 x 21,50 cm, n° 1 du catalogue
2. Une autre toile représentant le visage d'Euplocamie a été présentée en vente par Christie's à Monaco le 19 juin 1994 (lot n° 76) mais les dimensions (41 x 33 cm) ne semblent pas correspondre à la toile originale de Gérard.
3. " Mes regrets se sont accrus en arrivant en Normandie ; le journal que j'y ai retrouvé m'a appris que j'aurai vu dans votre atelier un beau tableau d'Homère reçu par la fille du berger Glaucus. ", voir H. Gérard, op. cit., 1867, p. 319
4. Ch.-P. Landon, op. cit., p. 92
5. Louis Lemercier, " Homère ", chant II, in Homère, Alexandre, poèmes, Paris, 1800, p. 52