Comment:
Cette feuille impressionnante, tant par ses dimensions que par son très grand degré d'achèvement, fut présentée sur les cimaises du Salon de 1769. Sur le livret de Salon, on peut lire le descriptif suivant : " Par M. Hallé, professeur (…) 12. Le Dessin d'un Tableau qui a été exécuté pour S.M. le Roi de Pologne ".
Stanislas Auguste Poniatowski, roi de Pologne de 1764 à 1795, fut l'un des princes les plus éclairés du Siècle des Lumières. Ayant séjourné en France et en Angleterre, proche de Catherine II de Russie, il établit à Varsovie une cour brillante où il s'entoura d'une importante collection de tableaux et de nombreux artistes venus de l'Europe entière. Il avait fréquenté lors de son séjour parisien le salon de Madame Geoffrin avec laquelle il entretiendra une correspondance suivie et qui le conseillera dans ses choix. C'est naturellement vers elle qu'il se tourna en 1765 lorsqu'il décida de faire réaliser par des peintres français le décor de la chambre des Seigneurs du château de Varsovie.
Le monarque avait une idée très précise du programme iconographique qu'il souhaitait et donna ses instructions. Les peintres avaient pour mission d'illustrer les vertus morales indispensables au bon gouvernement : Magnanimité, Concorde, Emulation et Justice. Après la mort de Carle Van Loo en 1765 et la défection de François Boucher, la réalisation de ces quatre grands tableaux aujourd'hui encore conservés au château royal de Varsovie fut confiée à Louis Lagrenée ('La tête de Pompée remise à César'), Joseph-Marie Vien ('César au pied de la statue d'Alexandre' et 'La Continence de Scipion') et Noël Hallé ('Scilurus, roi des Scythes, exhortant ses enfants à la concorde', fig. 1).
Notre artiste, en charge de l'allégorie de la Concorde, représenta un épisode rare de la vie de Scilurus, roi des Scythes, peuple nomade des steppes eurasiennes. Plutarque relate l'histoire de ce souverain qui rassembla ses enfants autour de son lit de mort. Donnant une flèche à l'un de ses jeunes fils, il lui demanda de la briser, ce que l'enfant parvint à faire sans effort. Il confia ensuite un faisceau de flèches à ses fils aînés que ceux-ci, malgré tous leurs efforts, n'arrivèrent pas à rompre. La moralité dispensée par Scilurus à ses enfants était la suivante : " Tant que vous serez unis, nul ne pourra vous vaincre ". La métaphore du brin isolé et du fagot était traditionnellement celle employé par Cesare Ripa pour la représentation de la Concorde qui tient un " faisceau de verges, chacune desquelles est faible de soi, mais toutes ensembles sont grandement fortes (1)".
Notre dessin fut certainement réalisé par Noël Hallé pour conserver le souvenir de son œuvre avant que le tableau ne soit envoyé en Pologne en 1768, après avoir été exposé au Salon de 1767. Il est mentionné dans le testament de l'artiste qui le légua à son épouse et est resté dans leur descendance jusqu'à nos jours.
Ni le tableau ni le dessin ne recueillirent les suffrages de la critique, en particulier de Diderot, lors de leur présentation au Salon. La touche fluide et l'aisance du pinceau de Noël Hallé n'étaient plus aussi admirées en cette deuxième partie du XVIIIe siècle où l'on commençait à délaisser les aimables mythologies d'un François Boucher pour prôner le retour à la grande peinture d'histoire.
Un critique anonyme du Salon de 1769 louait toutefois la " touche spirituelle " de notre dessin (2), dont on peut encore aujourd'hui admirer le traitement. Le peintre a reproduit avec une grande précision l'œuvre monumentale réalisée pour son prestigieux commanditaire et fait preuve d'une impressionnante maîtrise technique, parvenant à restituer sur le papier tout le moelleux et la fluidité de l'huile sur toile.
1. 'Iconologie', trad. de Jean Baudoin, Paris, 1643, I, p. 38
2. Lettre sur l'exposition des ouvrages…, 1769, p. 14