Jouhandeau attendit longtemps avant d'évoquer dans son œuvre, pourtant tellement autobiographique, son plus grand secret. C'est à cinquante et un an seulement, en 1939, qu'il publie De l'Abjection, cet essai dans lequel il évoque, sous couvert d'anonymat (son nom ne figure pas sur le volume), son homosexualité, son amour des garçons bouchers et la mesquinerie des atmosphères petites-bourgeoises qui engendre un désir d'infraction à la norme. L'essai consacre le débat de Jouhandeau avec lui-même. Le mal est la sexualité : on ne peut y échapper, il est difficile mais nécessaire de concevoir une vie harmonieuse où elle prendrait part. On y est voué, mais on ne s'y adonne qu'en se dégradant : telle est la triste conclusion de Jouhandeau qui, toute sa vie, luttera contre ses tendances homosexuelles. Mais lutter contre ses démons est aussi une manière de s'élever.
Cet ensemble comporte plusieurs strates du travail d'écriture, de la note spontanée au livre publié :
- MANUSCRITS d'environ 600 ff. in-8. Vers 1935-1938. Ce manuscrit très volumineux comporte des notes jetées à vif sur des feuillets et de longs passages remis en ordre, avec des titres, sous-titres, etc.
- TAPUSCRIT. 327 ff. in-8, sous une chemise sur laquelle une note précise : " tapuscrit 2e version ". Quelques corrections. Proche de la version définitive.
- De l'Abjection. Gallimard, coll. " Métamorphoses ", n° VII, 1939. In-12 broché. Le nom de l'auteur n'est pas donné sur la couverture, le livre étant marqué comme écrit par "*** ".
Livre important dans l'histoire de l'homosexualité au sein la littérature de la première moitié du XXe siècle, aux côtés du Corydon de Gide (1920), de Sodome et Gomorrhe de Proust (1921) et de Querelle de Brest de Genet (1947).
Note. Marcel JOUHANDEAU
Un si vaste ensemble de manuscrits de Marcel Jouhandeau est très rare sur le marché. De la volonté même de Marcel Jouhandeau, c'est à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet que sont conservés la majorité de ses manuscrits : en 1969, l'auteur a lui-même donné à l'institution des manuscrits encore en sa possession, auxquels s'ajoutent Les Journaliers qui seront versés à la bibliothèque au fur et à mesure de leur publication. Ce don est complété en 1981 par le don de Marc Jouhandeau, petit-fils de l'auteur. Enfin, en 1979, eut lieu une vente de la succession Marcel et Elise Jouhandeau (Drouot, octobre 1979).
Aussi, il est rare qu'un ensemble important de manuscrits apparaisse sur le marché. Un bibliophile passionné parvint pourtant à rassembler, en scrutant au long des années les catalogues de librairie et en se fournissant à la vente de 1979 ainsi qu'à une autre vente importante en 1989, de très nombreux manuscrits et tapuscrits que nous présentons ici, en plus d'un bel ensemble d'éditions originales, souvent en grands papiers réimposés.
Ces manuscrits nous permettent de découvrir les phases successives du travail de Jouhandeau, qui avait pour pratique, on le devine aisément en feuilletant ces archives volumineuses, de d'abord jeter quelques mots, une pensée, quelques répliques de dialogues, une maxime, sur des feuillets qu'il regroupait par thématique, puis de choisir des passages dans ces notes, de les agencer, modifier, corriger pour arriver à un texte relativement continu, écrit souvent à l'encre violette, pour ensuite dicter le résultat à une secrétaire (Céline, au début des années 60). Le tapuscrit est à nouveau corrigé, parfois remanié. De tout ce travail, Jouhandeau a conservé les différents jets.
B.P.
(Voir aussi éditions originales, lots 239-241.)