L.a.s. à Didier Daurat, 1931
6 p. in-8. Casablanca, s.d., mais fin 1931, quand Saint-Exupéry assure la liaison Casablanca - Port-Etienne de la ligne d'Amérique du Sud, avant d'être affecté à la ligne d'hydravions Marseille-Alger en 1932 ("Vous savez que vous me ferez une bien grande joie si vous me faites entrainer à mon retour sur la ligne Marseille-Alger").
On y sent tout le respect de Saint-Exupéry pour Didier Daurat (1891-1969), le mythique directeur des Lignes Latécoère (1919-1927) puis Aéropostale (1927-1933), qui inspirera le personnage de Rivière dans "Vol de nuit" (1931).
Saint-Exupéry écrit cette lettre à Didier Daurat pour qu'il l'intègre à la liaison Marseille-Alger en hydravion ("Je pense que vous voudrez bien considérer cette formation-là comme utile étant donné le rôle que prendront un jour les hydravions") et surtout qu'il lui accorde sa "confiance pour les essais d'Agadir - Saint-Louis sans escale". "L'expérience vient de me démontrer une fois de plus la nécessité, car mon dernier voyage n'a pas été facile", écrit-il à Daurat à propos des voyages sans escale. Et de dresser une relation minutieuse des incidents de vol, des difficultés des escales : "A notre départ de Port-Etienne, Cisneros a annoncé une visibilité nulle par brume épaisse au sol. Me presqu'ile de Port-Etienne était à demi-couverte de brume jusqu'au milieu du terrain : l'affaire se présentait mal. Mais j'étais si ennuyé d'avoir déjà couché à Agadir en descendant, que j'ai décidé d'aller voir quand même. […] Bénéficiant de contre-alizés violents et d'alizés violents aussi, j'ai pensé que j'avais le temps de pousser une pointe jusqu'à Cisneros et de revenir à Port-Etienne sans que la situation n'y soit beaucoup aggravée. En effet, quand je suis arrivé au banc de brume de Cisneros qui commençait à mi-chemin, brume très épaisse, Port-Etienne était clair et j'ai continué paisiblement vers Cisneros, en dessus, et d'ailleurs sans un relèvement, car la nuit était trop humide. Je suis par hasard tombé pile sur Cisneros sans quoi, faute de relèvements, je n'aurais eu qu'à m'en retourner. Le dernier message reçu, à mon arrivée, me signalait encore visibilité nulle. Mais j'ai remarqué que la brume sur la presqu'île était beaucoup moins épaisse qu'ailleurs et qu'on apercevait vaguement les feux. Je me suis posé sans difficulté. Je n'ai d'ailleurs rien risqué car j'avais décidé de faire un ou deux passages dans la brume aux instruments et près du sol en en abordant, au compas, le halo du phare sous le bon angle pour ne rien emboutir. Si je ne voyais pas le sol, je remontais au dessus de la brume et m'en retournais. Si je voyais j'y plaquais mes roues et roulais droit face au pionner. Or j'ai très bien vu le sol..."
La démonstration est la suivante : le pilote veut montrer qu'à bord d'un appareil Laté 28, il pourrait faire bien mieux qu'avec un Laté 26 et se passer d'escale : "Comme vous le voyez, ce voyage qui a été, en apparence, difficile, n'a vraiment présenté aucune difficulté sérieuse simplement parce que, étant donné le vent, j'avais assez d'essence pour continuer même sur Casa, et ainsi je n'ai pas été inquiété une minute. Avec trois heures de plus d'essence, je n'avais même pas insisté pour attérir à Cisneros. Cela démontre bien ce que' l'on pourrait faire avec des Late 28 quinze heures !"