HERGÉ Georges Remi dit (1907 - 1983)
TINTIN
VOL 714 POUR SYDNEY
Mine de plomb pour le crayonné de la planche 37 de cet album publié en 1968 aux éditions Casterman. Crayonnés dans les marges latérales. Au verso, 3 story-boards à la mine de plomb pour la planche 38 de l’album. Hergé faisait de nombreux essais d’enchaînement de séquences et de cases, de mise en page, avant de se lancer dans le crayonné définitif. Il s’agit donc ici de crayonnés préparatoires. Au verso également, dans la partie inférieure droite, 3 études de positions et un crayonné abouti représentant Allan tirant, pour la case 4 de la planche 38 de l’album. Les 3 études de positions ont été faites pour la réalisation de la case 12 de la planche 37 de l’album, représentant Rastapopoulos furieux se tenant la joue, ordonnant à Allan de reprendre la poursuite. 50,5 x 36,8 cm. Encadrée. Excellent état malgré une déchirure de 3,5 cm dans la marge droite, une autre de 1 cm dans la marge gauche, quasiment invisibles à l’œil nu. Papier très légèrement jauni, comme toujours. Superbe planche ou l’on voit 6 fois Tintin et autant de fois le capitaine Haddock. Allan retrouve Rastapopoulos et se lance à la poursuite de Tintin et ses amis. Célèbre passage du sparadrap, rappelant celui de L’Affaire Tournesol.
HERGÉ – MARCEL STAL : UNE RENCONTRE LÉGENDAIRE
De 1965 à 1970, l’actuel propriétaire de ces 2 planches (présentées sous les lots 98 et 99) vivait à Bruxelles, fréquentant assidûment la galerie Carrefour, alors dirigée par le grand marchand d’art Marcel Stal et située Galerie Louise à Bruxelles. Certains samedis, quelques passionnés, artistes et amateurs d’art se retrouvaient autour d’un verre de vin pour discuter de l’Art avec un grand « A » et de la création artistique. L’un de ces samedis, où Hergé était présent, il participa activement aux conversations. Ce jour-là, l’actuel propriétaire des œuvres ici présentées parla longuement avec Hergé de la place de la bande dessinée dans le monde de l’« Art ». Ce sujet passionnait Hergé qui, depuis quelques années, était également passé du statut d’artiste au statut complémentaire de collectionneur d’art contemporain.
La discussion se focalisa sur l’idée que la bande dessinée était un « Art » à part entière, à élever au même rang que la peinture, le dessin ou la sculpture. Pour l’actuel propriétaire des œuvres présentées aujourd’hui, les planches de bandes dessinées n’étaient des œuvres d’art qu’à leur état de crayonné et perdaient ce statut à partir du moment où elles étaient encrées, le geste et l’expression de l’esprit s’en trouvant par là même gommés ; la mise en couleur ainsi que la publication ne faisant qu’altérer ce statut initial d’œuvre d’« Art ».
À ce moment de la discussion, tous les gens de la réunion étant partis, Hergé proposa à notre vendeur de le revoir afin de lui montrer et de lui offrir un échantillon de son art « true art », et ce à la seule condition qu’il accepte d’aller le voir à son studio la semaine suivante. C’est au cours de cette seconde rencontre qu’Hergé lui offrit ces 2 planches.
La galerie de Marcel Stal était située à deux pas des studios Hergé. Ce dernier la fréquentait souvent en tant qu’amateur et collectionneur. Autodidacte, Hergé est venu à l’art grâce à sa rencontre avec Marcel Stal, ancien colonel de l’armée belge et collectionneur des céramiques de Charles Catteau. « Stal était un gentleman plein d’humour et d’impertinence qui aurait pu jaillir d’un roman anglais », se rappelle Pierre Sterckx, ami de Stal et d’Hergé, professeur à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris et critique d’art. C’était un gaffeur distrait comme Hergé les affectionnait. Le « mille sabords ! » serait de lui. Marcel Stal accueille dans sa galerie-forum tout le monde de l’art, y compris son voisin Hergé. Cette galerie inspira Hergé au point de devenir la « Galerie Fourcart » dans l’album inachevé « L’Alph-Art » !
Des rumeurs ont circulé selon lesquelles, à partir du Vol 714, Hergé se serait désengagé de son œuvre, laissant à Bob de Moor et au studio le soin de les réaliser. Ces deux crayonnés d’Hergé prouvent tout le contraire. Le trait y est incisif et bouillonnant. Les repentirs, ajouts, dérives en marges sont la preuve que le père de Tintin n’était pas fatigué de sa table à dessin ! Une des deux planches insiste sur l’expressivité des visages : Rastapopoulos est à la limite de l’explosion et le papier risque d’y être transpercé par le crayon ! L’autre donne à voir un petit chef-d’œuvre de motricité. Les déplacements rapides de Tintin flirtent avec l’art d’un montage cinématographique. Une petite merveille !
Pierre Sterckx
Ces 2 planches se suivent. Très rare opportunité pour un collectionneur avisé de pouvoir acquérir 2 planches consécutives d’un album de Tintin !!
Ces crayonnés, sommairement esquissés au verso, nous permettent de mieux appréhender la manière dont Hergé travaillait, de manière empirique, construisant ses planches au fur et à mesure de l’avancée du récit, sans carcan préétabli. La mise en page et la succession des cases et des strips pouvait être remise en question jusqu’au moment de la réalisation de la planche encrée.