Intéressantes lettres sur la situation en Pologne.
9 mai. « La réalité est que la Pologne, et jusqu’à un certain point son gouvernement, sont satisfaits de voir arriver les divisions Haller, bien encadrées des officiers français, bien pourvues de matériel français, et qui constituent en ce moment la seule force organisée du pays. Mais en revanche, il y a dans la cohue militaire qui remplit tout ici, et dont les officiers proviennent de trois origines, différentes au moins (russes, autrichiens, allemands), beaucoup de résistance à accepter notre tutelle. Ajoutez à cela que de graves dissentiments d’ambitions contraires, d’orgueils opposés, divisent ici les principaux généraux et les hommes politiques.
Chacun regarde de travers et attaque en dessous celui dont il craint de voir le prestige balancer le sien. C’est ainsi que le chef de l’État, général Pilsudski ne peut voir même en peinture le général Haller et inversement. De là des tiraillements assez nombreux et dont nous subissons quelques contrecoups »…
Il termine en mentionnant sa volonté de quitter le régiment-école pour intégrer l’état- major d’une division Haller en campagne, et sa candidature à une promotion de l’École Supérieure de Guerre sans concours mais « sans aucun espoir d’ailleurs de réussir, car il y a énormément de candidats »…
23 mai. « Ma bien chère Maman, Toujours rien de vous ! Ici la poste est inexistante comme le reste. Littéralement tout est à faire depuis la base jusqu’au sommet. Les Russes, du temps qu’ils occupaient le pays, avaient soigneusement empêché les Polonais de faire quoi que ce fût, dans le commerce, l’industrie, l’administration, l’armée. Ces gens livrés à eux-mêmes ne sont bons à rien, et le plus terrible est qu’ils se croient excellents en tout. […] Et pourtant il y a pour nous un tel intérêt à y parvenir que la chose vaut d’être tentée. Varsovie est une ville sans cachet et sans caractère, assez agréable pourtant et très animée, remplie pour le moment d’une foule de gens plus ou moins décorés venus de Russie, de Russie-blanche, de Lithuanie, où les bolchevistes occupent leurs terres, et qui malgré leurs malheurs s’amusent frénétiquement. Les bonnes familles varsoviennes […] les y aident de tout leur pouvoir et les imitent. Tout ce monde est d’ailleurs très aimable pour nous, et nous reçoit plus encore que nous le désirons. Tout coûte extrêmement cher […] et la bonne société ne se refuse rien. En bas, grouillent dans la ville cinq cent mille miséreux dont on se demande de quoi ils peuvent vivre, attendu qu’il n’y a pas d’usines en action, ni de trafic commercial, ni de travaux en cours. »…
27 mai. « Ma bien chère Maman, Voici enfin des lettres de vous. Elles me sont arrivées toutes ensemble, après avoir parcouru une notable partie de la Pologne. Elles m’apportent deux bonnes nouvelles », de Xavier qui « est maintenant sur pied », de Pierre qui a « la Croix de Guerre », de Marie-Agnès et de Jacques…
LNC, I, p. 457 à 459.