Commentaire :
Œuvre en rapport :
Copié à dimensions par Marguerite de Biencourt en 1890 (Chantilly, inv. PD 537, gouache et aquarelle, 20,2 x 15,4 cm ; annoté au verso 'Odet de Coligny / cardinal de Châtillon évêque de Beauvais, copie d'un tableau du château d'Azay-le-Rideau / en 1890 par Marguerite de Biencourt').
Dans la foisonnante galerie de personnages les plus influents de la cour de France que Corneille de La Haye, plus connu sous le nom de Corneille de Lyon, eut à peindre lorsqu'il était au service du dauphin Henri de France (futur Henri II), très peu sont des ecclésiastiques. Et ce, alors même que les prélats, souvent issus des grandes familles du royaume, occupaient des fonctions importantes. Bien avant le cardinal de Richelieu, ceux que l'historien Cédric Michon avait appelé " prélats d'État ", se chargeaient des affaires les plus diverses, avec une prédilection pour la politique intérieure et la diplomatie. À l'époque où œuvrait Corneille, il s'agissait notamment des cardinaux Louis de Bourbon, Jean de Lorraine (favori de François Ier), François de Tournon, Jean Du Bellay, Antoine Sanguin de Meudon (oncle de la duchesse d'Étampes), Georges d'Armagnac, Georges II d'Amboise, Charles de Lorraine-Guise etc. La plupart de ces prélats ont été peints par François Clouet, portraitiste en titre de la famille royale, même si certaines de ces effigies ne sont aujourd'hui connues que grâce aux dessins des recueils de copies au crayon. En revanche, on ne connaît aujourd'hui que deux portraits de cardinaux par Corneille, auxquels il faut probablement ajouter un troisième, représentant Charles de Bourbon et dont subsiste une réplique relativement maladroite, mais parfaitement révélatrice de sa manière (collection particulière).
Les deux autres portraits représentent Robert, cardinal de Lenoncourt (Dubois de Groër, no 113), et Odet de Coligny, cardinal de Châtillon, dont les traits sont parfaitement connus grâce à plusieurs portraits réalisés par Jean et François Clouet, et par Jean Decourt. Issu de l'une des plus importantes maisons du temps des derniers Valois, neveu du connétable de Montmorency, Odet se vit offrir le chapeau de cardinal à seize ans à l'occasion du mariage de Catherine de Médicis et de Henri II et alors qu'il n'était pas ordonné prêtre. Archevêque de Toulouse et évêque de Beauvais, il ne fut jamais sacré et se posait en homme d'État plutôt qu'en homme d'Église. Membre du Conseil dès 1547, courtisan accompli, fin esprit et amateur d'art, il prônait une réforme du culte catholique, mais fut le dernier de sa famille à se convertir ouvertement au protestantisme. Désormais titré comte de Beauvais, Châtillon épousa Isabeau de Hauteville et resta un personnage influent à la cour jusqu'à ce que la troisième guerre de religion ne l'oblige à s'exiler en Angleterre. Il y mourut en 1571 alors qu'il s'apprêtait à retourner en France, pacifiée après l'édit de Saint-Germain.
Aussi bien pour le portrait de Châtillon par Corneille que pour celui de Lenoncourt, au moins quatre versions sont connues, de qualité et de dimensions variables. Comme souvent, il s'avère difficile de distinguer l'original peint d'après nature des répliques tirées dans l'atelier, d'autant plus que de nombreux tableaux ont disparu. Il n'en demeure pas moins que la qualité de notre peinture est indéniablement meilleure que celle des autres versions localisées (Avignon, musée Calvet ; collections particulières).
En observant les portraits d'Odet de Coligny par les Clouet, il est possible de dater notre œuvre de la toute fin des années 1540, tandis que, à en juger d'après l'âge de Lenoncourt, Corneille paraît l'avoir peint plus tôt, au début de la décennie. L'utilisation de panneaux sensiblement plus grands pour Châtillon confirme ce décalage, tout comme son vêtement qui correspond à la mode d'autour de 1550. Plusieurs années séparent donc les portraits des cardinaux de Lenoncourt et de Châtillon et ces deux iconographies, malgré la mise en place similaire, ne constituent aucunement des pendants, même si certaines versions auraient pu se retrouver ensemble dans quelque galerie de personnages les plus éminents de la cour.
Si très souvent Corneille n'hésite pas à s'inspirer des œuvres de Clouet afin de respecter l'iconographie " officielle " d'un modèle, il préfère ici composer une image nouvelle. Le visage du cardinal est ainsi tourné vers la droite et non vers la gauche comme chez Clouet et vu un peu plus de face. Le modèle fixe le spectateur au lieu de diriger son regard hors du cadre, ce qui rend la confrontation avec le personnage plus intense, son expression plus fière et volontaire. Le portraitiste se montre ici un coloriste délicat, bâtissant son œuvre sur l'harmonie du rouge garance et du vert clair, rompue seulement par le blanc du col et le brun-roussâtre de la chevelure. Souvent plus sommaire dans les vêtements que dans les visages, le peintre lyonnais s'attache ici à reproduire le dessin complexe de la soie damassée des revers du manteau. La délicatesse de ces motifs, tout en glacis translucides laissant transparaître la préparation blanche, contraste avec le trait puissant et épais des galons de bordure.
Nous remercions Madame Alexandra Zvereva pour la rédaction de cette notice (septembre 2020).