Signé et daté 'P. BREGHEL. 1620' (signature reprise) en bas à droite, porte un numéro d'inventaire '720(?)' en bas à gauche
(Restaurations)
The Sermon of Saint John the Baptist, oil on an oak panel, signed and dated, by P. Brueghel the Younger
36.02 x 67.71 in.
Collection du prince de Liechtenstein, Vaduz, n° A. 1063 ;
Collection du Dr. F. Ludwig, Berne, en 1969 ;
Collection particulière, Suisse ;
Galerie De Jonckheere, Paris ;
Acquis auprès de cette dernière par les parents des actuels propriétaires en 2004 ;
Collection particulière, France
F. J. Van den Branden, Geschiedenis der Antwerpsche Schilderschool, I, Anvers, 1883, p. 442
G. Glück, Breugels Gemälde, Vienne, 1932, p. 56, sous le n° 27
Georges Marlier, Pierre Brueghel le Jeune, Bruxelles, 1969, p. 51, fig. 17 et p. 55, n° 4
Klaus Ertz, Jan Brueghel der Ä. Die Gemälde mit kritischem Oeuvrekatalog, Cologne, 1979, note 717
Klaus Ertz, Pieter Brueghel der Jüngere (1564-1637/38). Die Gemälde mit kritischem Oeuvrekatalog, Lingen, 1988/2000, t. I, p. 373, n° E 333, repr.
Dans son catalogue raisonné de l’œuvre de Pieter Brueghel le Jeune, Klaus Ertz ne recense pas moins de 31 tableaux sur le thème de la Prédication de saint Jean-Baptiste. Il est aujourd’hui largement admis que la composition originale, d’après laquelle sont inspirées les nombreuses versions de ce sujet, est le tableau conservé au musée des Beaux-arts de Budapest (Inv. 51.2829), peint par Pieter Bruegel l’Ancien (vers 1525-1569) et daté de 1566. Avec l’exemplaire peint par Jan Brueghel l’Ancien (1578-1625), daté de 1598 et conservé à l’Alte Pinakothek de Munich (Inv. 834), et ceux de son frère Pieter Brueghel le Jeune – Klaus Ertz en compte six datés, dont le nôtre – le déploiement de cette iconographie par les trois plus éminents représentants de la célèbre dynastie s’étale entre 1566 et 16361. C’est donc dans la perspective de ce si long succès, qu’il convient d’analyser la place qu’occupe l’important panneau que nous présentons ici.
Quand Pieter Brueghel l’Ancien invente cette composition – en 1566 si l’on se réfère au seul exemplaire reconnu – les Pays-Bas traversent une période troublée. Irriguées par la Réforme, les tensions religieuses se conjuguent à une crise politique que la domination espagnole ne parvient plus à contenir. Cette année-là, révolte des gueux, puis furie iconoclaste embrasent le pays, et marquent le début d’une guerre dont il ne devait sortir que quatre-vingt ans plus tard. Les commentateurs de ce tableau ont donc raisonnablement cherché dans ces épisodes, la signification de son iconographie. A la lisière d’une forêt, une dense assemblée à l’accoutrement cosmopolite, se presse avec plus ou moins d’attention autour de Jean-Baptiste, annonçant la venue du Messie. Prophétie lourde de sens dans ce XVIe siècle religieusement déchiré. Deux opinions ont émergé des débats entourant l’interprétation de ce tableau2. Si la première propose d’y voir la représentation d’un prêche de réformés3, comme il en essaime alors à travers la campagne flamande, la seconde, formulée par Emeric Katona4, précise le raisonnement. Dans celle-ci, le peintre est affilié au mouvement anabaptiste, et son tableau doit être regardé comme la profession de foi d’un fidèle envers son église. Bien que la première proposition semble plus crédible, l’énigme n’est pas complètement résolue. C’est pourquoi il faut accepter une troisième démonstration, avancée par Jacqueline Folie à l’occasion de la célèbre exposition de 19805. Soucieuse d’expliquer le succès de la composition auprès de la clientèle anversoise du début du XVIIe siècle, débarrassée de sa composante protestante depuis leur expulsion de la ville en 1588, son interprétation se prétend plus universelle. L’assemblée est alors assimilée à l’humanité tout entière, ce qu’atteste la diversité de ses personnages, de leurs costumes et de leurs attitudes.
Une autre controverse, plus importante encore, est née de la question entourant la connaissance que pouvaient avoir les deux fils de l’œuvre de leur père. Si l’on écarte la version de Jan Brueghel de Velours, plus personnelle, la fidélité qui rapproche le tableau de Budapest des versions ultérieures – jusqu’à la rigoureuse répétition des couleurs – induit avec force, que celui-ci était bien connu par l’auteur de celles-là. Dès 19556, cette théorie est justifiée par la présence, dans l’inventaire des biens de l’archiduchesse Isabelle, d’une « Prédication de saint Jean de Pieter Brueghel l’Ancien, haute de 47/11 pieds, large de 72/11 »7 identifiée au tableau de Budapest. Bien que localisé par Auner dans la collection de la famille Batthyány à Budapest dès 15708, il reste très probablement à Bruxelles plus longtemps, où Pieter II le découvre. Car, à moins de s’être rendu au palais impérial, où il aurait pu voir le tableau de son père, la seule transmission des dessins du fonds d’atelier, paraît être un argument insuffisant pour expliquer la parfaite proximité entre ce dernier et notre panneau.
Il faut ici rappeler que dès son vivant, mais encore plus dans les années suivant sa mort quelque peu prématurée, Pieter Brueghel l’Ancien est considéré comme un peintre de premier plan, particulièrement reconnu pour ses innovations tant stylistiques que thématiques. Ce formidable succès est alimenté dans la seconde partie du XVIe siècle par l’engouement de prestigieux collectionneurs, au premier rang desquels les empereurs Ferdinand I (1556-1564) et Maximilien II (1527-1576). Un intérêt qui fournit à son fils aîné, héritier de son atelier, la clé d’une réussite commerciale assurée par la diffusion de ses inventions. Phénomène d’autant plus accentué qu’il survient à Anvers, où la logique d’atelier propre à l’organisation de la profession assure sa reproduction en série à toute composition appréciée.
Notre panneau se démarque toutefois par une particularité qui mérite de faire l’objet d’un développement spécifique. Contrairement aux deux précédents exemplaires datés9, un personnage présent dans la composition originale a volontairement été effacé. Cet homme élégamment vêtu au premier plan, qui regarde le spectateur et se fait lire les lignes de la main, semble ne plus être désormais du goût des commanditaires. Georges Marlier explique son absence par « l’attitude irrévérencieuse de cet homme, qui se laisse dire l’avenir dans la main au moment même où le grand Précurseur prophétise le destin de l’humanité tout entière »10. Michael Auner l’identifie au conseiller secret de Marguerite de Parme, Thomas Armenteros11 et Fritz Grossmann relie la chiromancie, pratique prescrite par Calvin, à l’acte de résistance d’un adversaire de la religion réformée12. Autant de pistes de réflexion d’où ne peut émerger qu’une seule conclusion : celui qui est souvent appelé « l’Espagnol » ne doit plus apparaître sur la production postérieure à 162013.
Si par sa composition, notre panneau doit être rattaché à l’immense personnalité du fondateur de la dynastie Brueghel, c’est à la main du fils que l’on doit son excellente facture. Nous parvenant dans un parfait état de conservation, il se présente comme un des plus extraordinaires morceaux de ce corpus que constituent les prédications de saint Jean Baptiste peintes par Pierre Brueghel le Jeune. Témoin emblématique de la prospérité artistique d’Anvers dans cette première moitié du XVIIe siècle, ce tableau nous fait parvenir depuis le fond d’une forêt flamande, un message de fraternité universelle qui n’a rien perdu de son actualité.
1 – La version datée de 1636 étant celle qui est conservée dans une collection particulière à Esslingen (voir Klaus Ertz, Die Gemälde mit kritischem Oeuvrekatalog, Lingen, 1988, T. I, p. 374, cat. E 335).
2 – Idem, p. 370-371
3 – Gustav Glück, Das grosse Brueghel-Werk, Vienne, Munich, 1963, p. 84
4 – Emeric Katona, « La Prédication de Saint Jean-Baptiste de Breugel », dans Bulletin du Musée Hongrois d. Beaux-Arts, n° 22, 1963, pp. 41-69.
5 – Jacqueline Folie, Brueghel. Une dynastie de peintres, cat. exp. Bruxelles, 18 septembre – 18 novembre 1980, p. 143, cat. n° 79.
6 – Fritz Grossmann, Brueghel, The Paintings, Londres, 1955, p. 343.
7 – Dominique Allart, L’Entreprise Brueghel, Maastricht, Bruxelles, 2002, p. 50, doc. 20.
8 – M. Auner, « Pieter Brueghel. Umrisse eines Lebensbildes », dans Jahrbuch der Kunsthistorischen Sammlungen in Wien, n° 52, 1956, pp. 117-118.
9 – Celui conservé au Rheinisches Landesmuseum de Bonn (inv. n° G.K. 34) est daté de 1601, et celui conservé à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg (inv. n° ГЭ-3519) est daté de 1604.
10 –Georges Marlier, Pierre Brueghel le Jeune, Bruxelles, 1969, p. 54.
11 – Michel Auner, op. cit., pp. 109-118.
12 – Fritz Grossmann, Pieter Brueghel. Complete edition of the paintings, Londres, 1973, p. 200.
13 – Les versions conservées au Stedelijk Museum Wuyts-Van Campen en Baron Caroly (inv. n°44) à Lier, datée de 1624, et celle conservée dans une collection particulière à Esslingen (voir Klaus Ertz, Op. cit., p. 374, cat. E335) ne le présentent en effet pas.