16
Pieter BRUEGHEL le Jeune (Bruxelles, 1564 - Anvers, 1637/38)
La moisson, Allégorie de l'Eté
Estimation :
1 000 000 - 1 500 000 €

Description complète

La moisson, Allégorie de l'Eté
Huile sur panneau de chêne

Signé 'P. BREVGHEL' en bas à gauche


The Harvest, allegory of Summer, oil on oak panel, signed, by P. Brueghel the Younger

16.53 x 22.44 in.

42 cm x 57 cm
Provenance :

Collection particulière, Etats-Unis, avant 1985 ;

Vente anonyme ; New York, Christie's, 5 juin 1985, n° 161 ;

Galerie Johnny van Haeften, avant 1987 ;

Collection particulière, New York ;

Galerie Johnny van Haeften, en 1993 ;

Collection particulière, Angleterre, en 1995 ;

Galerie De Jonckheere, Paris ;

Acquis auprès de cette dernière par les parents des actuels propriétaires en 2004 ;

Collection particulière, France

Bibliographie :

Klaus Ertz, Pieter Brueghel der Jüngere (1564-1637/38). Die Gemälde mit kritischem oeuvrekatalog, t. II Lingen, 1988-2000, p. 562, p. 567, p. 558, repr. pl. 465 (détail), p.595-596, n° E634, repr.

Commentaire :

En 1565, au cours d’une année particulièrement prolifique de sa carrière, Pieter Bruegel l’Ancien (1525-1569) imagine une série de six tableaux sur le cycle des saisons, dont l’iconographie novatrice a beaucoup contribué à sa réputation de peintre précurseur. De la partie estivale de ce projet, deux tableaux nous sont parvenus. Le premier, intitulé La fenaison et conservé à Prague au Palais Lobkowitz (inv. 1721/1), s’attache à représenter les mois de juin et de juillet quand le second, titré La moisson et conservé au Metropolitan Museum de New York (inv. 19.164), se reporte sur les mois d’août et de septembre. Dans cette série, le peintre se concentre sur la transformation de la nature par l’écoulement du temps, privilégiant la construction de profondes perspectives, où les hommes s’affairent discrètement à leur humble labeur. Dans un second temps, l’artiste décline cette thématique des saisons en dessins préparatoires pour des gravures qui sont publiées à Anvers en 1570 par Hieronymus Cock (1518-1570), avec le concours du graveur Pieter van der Heyden (1530-1572). En 1565, il réalise le Printemps, aujourd’hui conservé à l’Albertina Museum de Vienne (inv. 23750) et en 1568, il exécute l’Eté, conservé au Cabinet des estampes de la Kunsthalle de Hambourg (inv. Nr. 21758). Sa mort prématurée en 1569 expliquant l’absence de l’automne et de l’hiver, c’est à Hans Bol (1534-1593) qu’il revient d’en produire les dessins préparatoires aujourd’hui disparus. 

Parmi ces quatre feuilles, c’est donc celle de Hambourg qui fournit le modèle de la composition dont s’inspire Pieter Brueghel le Jeune, dans le panneau que nous présentons ici. Contrairement au tableau de New York, l’homme reprend à la nature la place centrale qu’elle occupait dans la série précédente. Dans une construction influencée par le maniérisme italien, il envahit le premier plan et introduit par ses gestes une dynamique de mouvement qui restait jusqu’ici cantonnée à un déploiement périphérique. Répétant les motifs le long d’un axe parallèle à la ligne de fuite, Pieter Bruegel l’Ancien amenuise petit à petit la monumentalité des figures et, comme l’a remarqué Lutz Malke1, anticipe leur transposition sur une gravure en les dessinant avec une posture de gaucher. Contrairement à l’apparente simplicité bucolique qui se dégage de l’ensemble, l’artiste y introduit quelques citations d’œuvres importantes de l’histoire de l’art qui se superposent à son langage métaphorique sur l’été. Le personnage qui manie la faux en tournant le dos au spectateur, a pu ainsi être rapproché par Tolnay2 d’un fragment de la fresque représentant la Conversion de saint Paul, réalisée par Michel Ange dans la chapelle Pauline du Vatican. A côté de cette allégorie de la moisson et du mois de juillet, est assis un autre personnage qui, en s’emparant d’une carafe pour étancher la soif que lui inflige une chaleur torride, symbolise le mois d’août. Tolnay voit dans sa posture contorsionnée, une référence au célèbre groupe du Laocoon, dont l’imitation par les « peintres italianisants » serait ici moquée.

La diffusion par la gravure de cette œuvre de Pieter Bruegel l’Ancien connait un véritable succès au XVIIe siècle. Comme l’a souligné Klaus Ertz3, elle doit une partie de sa fortune au travail du peintre anversois Abel Grimmer (1570-1619), dont on peut citer l’exemplaire daté de 1607, et conservé au Koninklijk Museum voor Schone Kunsten d’Anvers (inv. 831/1). Mais c’est bien Pieter Brueghel le Jeune qui est le principal responsable de cette réussite dont il multiplie les versions, avec une première datée de 1600, aujourd’hui disparue, qui est documentée par une photographie conservée dans les archives de la galerie Saint-Lucas à Vienne4. Si le panneau que nous présentons affiche une forte proximité avec la gravure, ce n’est pas le cas de tous les exemplaires, dont certains plus éloignés, en agrègent divers éléments avec la composition du tableau de New York. C’est le cas par exemple de la version exposée à la galerie P. de Boer en 19345, ou de celle passée en vente en 20126, où le motif original du groupe en train de déjeuner vient remplacer le buveur assis. Cette liberté par l’artiste prise rapport à la gravure, pourtant largement diffusée, a pu faire dire à Georges Marlier6 qu’un tableau présentant ces variantes avait servi de modèle dans l’atelier. Le tableau de New York étant resté dans la collection du percepteur d’impôts anversois Nicolaes Jonghelinck (1517-1570), avant de passer aux Habsbourg, Klaus Ertz8 suppose que Pieter Brueghel le Jeune pouvait l’avoir connu dans les années 1590. S’il en tient compte dans la première version, il est intéressant de constater que dans le premier tiers des années 1620, période au cours de laquelle la demande pour ce sujet semble augmenter considérablement, le motif du buveur assis, issu de la gravure, est très souvent privilégié. Bien que notre panneau ne soit pas daté, on peut très légitimement supposer qu’il se rattache à cette époque de l’activité du peintre.

Particulièrement emblématique de l’originalité propre à l’œuvre des Brueghel, L’été n’apparait pourtant pas si souvent sur le marché de l’art. Synthétisant les inventions que son père multiplie à la fin de sa vie, Pieter Brueghel le Jeune nous offre ici l’occasion d’aborder son œuvre sous l’angle amusant de l’allégorie réduite à une scène de genre. Davantage inspiré par la gravure, que par le tableau original, notre panneau rend hommage à l’indispensable activité des hommes qui travaillent la terre, et diminue l’impression de chaleur écrasante rendue par le cuivre. Ainsi délivrée de la tyrannie du soleil, la campagne flamande se dévoile au spectateur à travers l’heureuse simplicité de la sagesse paysanne.

 

1 – Lutz Malke, Pieter Bruegel d.Ä. als Zeichner. Herkunft und Nachfolge, cat. exp., Berlin, Kupferstichkabinett, 1975, p. 90-91. 

2 – Charles de Tolnay, Die Zeichnungen Pieter Bruegels, Munich, 1925, p. 39.

3 – Klaus Ertz, Die Gemälde mit kritischem Oeuvrekatalog, Lingen, 1988, T. II, p. 552.

4 – Idem, p. 562, ill. 462, p. 563, repr.

5 – Idem, p. 595.

6 – Vente anonyme ; Londres, Christie’s, 3 juillet 2012, n° 41.

7 – Georges Marlier, Pierre Brueghel le Jeune, Bruxelles, 1969, p. 230.

8 – Op. cit. p. 552

Commissaire-priseur

Matthieu FOURNIER
Commissaire-priseur
Tél. +33 1 42 99 20 26
mfournier@artcurial.com

Contacts

Léa PAILLER
Administrateur des ventes
Tél. +33 1 42 99 16 50
lpailler@artcurial.com

Ordres d’achat & Enchères par téléphone

Kristina Vrzests
Tél. +33 1 42 99 20 51
bids@artcurial.com

Actions