(Restaurations)
Aeneas and the Sibyl in the Underworld, oil on copper, by J. Brueghel the Elder
10.23 x 13.78 in.
Galerie Johnny van Haeften, Londres, en 2004 ;
Galerie Salomon Lilian, Amsterdam, en 2005 ;
Galerie De Jonckheere, Paris ;
Acquis auprès de cette dernière en 2005 par les parents des actuels propriétaires (en paire avec le numéro suivant) ;
Collection particulière, France
Klaus Ertz, Christa Nitze-Ertz, Jan Brueghel der Ältere (1568-1625) : kritischer Katalog der Gemälde, Lingen, 2008-2010 , t. 2, p. 682-685, n° 334
Ce remarquable tableau narre un épisode de l’Enéide où les Dieux autorisent Enée à visiter les Enfers afin qu’il puisse y retrouver l’âme de son père (Enéide, VI, v. 269-282). Enée y est conduit par la sibylle de Cumes qui le guide dans un monde infernal peuplé de démons où les dangers semblent les menacer de toutes parts. Il tient de la main droite le rameau d’or qui lui permet de pénétrer dans le royaume d’Hadès. Deux autres versions, présentant des compositions légèrement différentes, sont conservées à Budapest (Szépmüvészeti Múzeum, signée et datée ‘BRVEGH. 1600’, n° 551 et signée et datée : ‘(…)GHEL 160.’, no 553). Au total, Jan Brueghel l’Ancien réalise six versions sur ce thème, de format presque identique et peintes sur cuivre tandis qu’une version plus grande, se trouve à Vienne. Ainsi, en plus des deux répliques de Budapest, deux autres exemplaires sont conservés dans des institutions publiques : à Rome, Galerie Colonna (inv. n° 682), et à Vienne, Kunsthistorisches Museum (n° 817)1. Klaus Ertz et Christa Nitze-Ertz estiment que la première version date de 1594 environ (celle conservée à Rome) et place la nôtre vers 1600 environ.
Pour figurer cette vision infernale, Jan Brueghel s’inspire des œuvres de son père Pieter Brueghel I (c. 1528-1569), qui réalise une série gravée sur le thème des sept péchés capitaux et du jugement dernier2, mais aussi des travaux de Jérôme Bosch et de ses suiveurs comme Jan Mandijn et Peter Huys3. Si le thème d’Enée apparaît dans un panneau attribué à Jan Mandijn des années 1540-1550 (vente anonyme ; Cologne, Lempertz, 26 novembre-1er décembre 1958, n° 65, 63 x 86 cm), Brueghel est l’un des premiers artistes à transformer le monde souterrain en un véritable paysage. Les personnages tourmentés s’inspirent peut-être des modèles du maniérisme italien qu’il a pu voir lors de son séjour ultramontain, en particulier de Rosso Fiorentino, de Pontormo mais aussi de Tintoret.
Le monde souterrain s’étend au loin par le biais de la représentation du fleuve des Enfers, le Styx, qui creuse la perspective et donne de l’ampleur à la composition. Il emploie les paysages-mondes de Joachim Patinir comme sources d’inspiration. Au loin, le rougeoiement du feu et le brun de la fumée créent une atmosphère dramatique et inquiétante. Par le biais d’une facture lisse et brillante, Jan Brueghel représente autant le chatoiement des tissus que l’aspect visqueux des démons marins du premier plan. Plusieurs motifs apparaissent à plusieurs reprises dans les compositions infernales de Jan Brueghel l’Ancien tels que les potences et les roues en feu ou encore la fosse de l’Enfer. Ici, Jan ajoute le motif du monstre avec sa gueule grande ouverte apparaissant au milieu du tableau. Il s’inspire des travaux de Joos de Momper ou de Herri met de Bles pour concevoir une figure monstrueuse anthropomorphe à partir d’éléments du paysage.
Cette composition connut un très grand succès comme l’attestent les nombreuses reprises réalisées par Jan Brueghel II4. Frans Francken II réalise également un cuivre sur le même sujet (Munich, Bayerisches Staatsgemäldesammlungen, Alte Pinakothek, n° 1879).
1. Klaus Ertz, Christa Nitze-Ertz, Jan Brueghel der Ältere (1568-1625) : kritischer Katalog der Gemälde, Lingen, 2008-2010, t. 2, n° 331 à 335.
2. Pieter Brueghel l’Ancien fournit les modèles qui sont gravés par Pieter van der Heyden : voir Hieronymus Cock. La gravure à la Renaissance, cat. exp., Leuven, M Leuven Museum, Paris, Fondation Custodia, 2013, p. 216-225, no 53.
3. Nous renvoyons au triptyque avec la fin des temps, le paradis et l’enfer attribué à Cornelis Cort d’après un suiveur de Hieronymus Bosch : Hieronymus Cock. La gravure à la Renaissance, op. cit., p. 248-249, no 62.
4. Voir Klaus Ertz, Jan Brueghel der Jüngere, Freren, 1984, p. 303-304. Il existe une version conservée aux musées royaux des beaux-arts à Bruxelles : n° 6249, réalisée à partir d’une des compositions de Jan l’Ancien aujourd’hui à Budapest.