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Vrancke van der STOCKT ou le Maître de la Rédemption du Prado et atelier (Actif à Bruxelles, avant 1424 - 1495)
Panneau central : La Descente de Croix, Panneau latéral gauche : L'Empereur Auguste et la sibylle de Tibur (recto) et La découverte de la Vraie Croix
par Sainte Hélène (verso) ; Panneau latéral droit : La vision des rois mages (recto) et Héraclios rapporte la Vraie Croix à Jérusalem après son vol par les Perses (verso)
Estimation :
1 200 000 - 1 800 000 €

Description complète

Panneau central : La Descente de Croix, Panneau latéral gauche : L'Empereur Auguste et la sibylle de Tibur (recto) et La découverte de la Vraie Croix
par Sainte Hélène (verso) ; Panneau latéral droit : La vision des rois mages (recto) et Héraclios rapporte la Vraie Croix à Jérusalem après son vol par les Perses (verso)
Triptyque, huile et tempera sur panneaux de chêne

Panneau central : 61 x 50 cm, Volets : 52,50 x 27 cm


The Descent from the Cross and other scenes related to Jesus and the Cross, triptych, oak panels, by V. van der Stockt and workshop

Central panel : 24.01 x 19.68, Wings : 20.67 x 10.63 in.

Provenance :

Collection Charles II de Bourbon-Parme, roi d'Etrurie, duc de Lucques et duc de Parme, n° 68, un cachet au dos de l'œuvre ;

Vente anonyme ; Londres, Christie's, 21 juin 1968, n° 76 (comme le maître de la Légende de sainte Catherine) ;

Vente anonyme ; Londres, Sotheby's, 11 décembre 1974, n° 64 (comme Vrancke van der Stockt) ;

Collection Roy Mills, New York, en 1976 ;

Collection particulière, Espagne, en 1977;

Galerie De Jonckheere, Paris ;

Acquis auprès de cette dernière par les parents des actuels propriétaires en 2007 ;

Collection particulière, France 

Bibliographie :

Elisa Bermejo, La pintura de los primitivos Flamencos en España, I, Madrid, 1980, p. 144-145, n° 12-14, ill. 134-138

Brigitte de Patoul et Roger van Schoute (sous la dir.), Les Primitifs flamands et leur temps, Louvain-la-Neuve, 1994, p. 528-531

Lorne Campbell, National Gallery Catalogue. The fifteenth Century. Netherlandish School, Londres, 1998, p. 421, fig. 19 (pour La découverte de la Vraie Croix par Sainte Hélène)  

Barbara Baert, A Heritage of Holy Wood. The Legend of the True Cross in text and images, Leyde, 2004, p. 280-281, fig. 74  

Till-Holger Borchert, “A little known Triptych (?) with the Descent from the Cross, formerly in the Collection of the Duke of Lucca”, in Florence Gombert et Didier Martens (sous la dir.), Le Maître au Feuillage brodé. Démarches d’artistes et méthodes d’attribution d'œuvres à un peintre anonyme des anciens Pays-Bas du XVe siècle. Colloque organisé par le Palais des Beaux-Arts de Lille, 23-24 juin 2005, Lille, 2007, p. 55-67

Stephan Kemperdick et Jochen Sander, in cat. Frankfurt, Städel Museum and Berlin, Gemäldegalerie, 2008-2009, The master of Flémalle and Roger van der Weyden, p. 347-348, ill. 187-188

Katrin Dyballa et Stephan Kemperdick, Netherlandish and French paintings 1400-1480: critical catalogue for the Gemäldegalerie – Staatliche Museen zu Berlin, Petersberg, Berlin, 2024, p. 300 (copie 7), p. 311-312, p. 313, fig. 28.12, p. 382-383, fig. 35.11 

Commentaire :

Amplement publié, cet exceptionnel polyptyque a suscité, jusque très récemment, l’intérêt de nombreux chercheurs et spécialistes de la peinture flamande du XVe siècle qui l’ont remarqué et commenté à diverses reprises. Par la qualité de sa peinture, son bel état de conservation et sa provenance, cette œuvre constitue en effet un exemple insigne de la production bruxelloise de la fin du XVe siècle qui opère dans le sillage du célèbre peintre Rogier van der Weyden.

Les panneaux, selon le Dr. Stephan Kemperdick et Till-Holger Borchert avant lui, auraient été initialement présentés différemment. Jugeant le motif de la croix comme central dans l’élaboration des compositions, ils proposent la reconstitution suivante : les scènes de la Vraie Croix, avec Hélène et Héraclius, devaient constituer les panneaux intérieurs des volets, flanquant la Déposition centrale afin d’évoquer comment la Croix est devenue la Vraie Croix. La représentation centrale montrerait la fonction eschatologique de la Vraie croix à travers l’acte de crucifixion tandis que les panneaux latéraux évoqueraient la légende de la Vraie Croix. Les deux autres scènes, Auguste et la Sibylle, et les Rois Mages font référence à la Nativité du Christ, et non à la Croix, aussi devaient-elles être placées à l'extérieur des volets - logiquement, puisque l'Incarnation est le début de l'histoire du Salut, tandis que la Crucifixion et la Déposition en sont la fin. Par ailleurs, cet agencement permettrait la poursuite du paysage sur les trois panneaux figurant à l’intérieur du retable. Si l’ensemble tel qu’il est aujourd’hui est remarquable et pourrait tout à fait correspondre à trois différents grands moments liturgiques (la descente de croix correspond aux prières de la passion, la légende de la Vraie croix aux offices de la Croix et les représentations de la Vision de l’Empereur Auguste et de la Vision des Mages pourraient être présentées dans le contexte des célébrations de l’Avent), il est également possible, selon Till-Holger Borchert, que les panneaux préservés soient des éléments appartenant à un plus grand polyptique dont certains panneaux restent à découvrir.

Au XIXe siècle, l’œuvre séduit Charles-Louis de Bourbon-Parme, duc de Lucques et de Parme, qui semble avoir été un amateur éclairé de l’œuvre des primitifs flamands, puisqu’il détenait également la Vierge de Lucques de Jan van Eyck qui se trouve aujourd’hui dans les collections du Städel Museum de Francfort1.  

 

De toute évidence, notre peintre agit dans le sillage de Rogier van der Weyden dont il maîtrise parfaitement le vocabulaire. S’il est certain que Vrancke van der Stockt fut actif à Bruxelles, aucune preuve tangible ne figure dans les sources permettant de lui attribuer formellement une peinture ou un dessin, ce qui est le cas de figure le plus courant pour les œuvres de cette période. Vrancke van der Stockt est pourtant bien documenté dans les archives bruxelloises et y figure dès le 23 mars 14452. Son père Jan van der Stockt signe alors un acte devant notaire lui laissant l’ensemble de l’atelier comprenant dix-huit tableaux, son matériel de peintre ainsi que son mobilier. D’autres sources nous renseignent sur sa production artistique ainsi que sur sa condition sociale. En 1466-1467, il réalise un projet pour un chandelier en forme d’arbre de Jessé. En 1468, il participe à la production d’un décor éphémère pour l’entrée et le mariage de Charles le Téméraire et Marguerite d’York à Bruges. L’artiste aurait également fourni des modèles pour des tapisseries et des broderies. Peintre prospère, sa succession signale plusieurs maisons à Bruxelles ainsi que des terres, des bois et des prairies à Bruxelles, Lennik et Wambeek. Inhumé dans l’église Sainte-Gudule, il lègue à sa mort tout son matériel de peinture à ses deux fils peintres Bernaert et Machiel.

En dépit d’une filiation stylistique évidente et de liens personnels attestés par les archives, rien ne nous permet d’affirmer que Vrancke van der Stockt ait travaillé comme assistant dans l’atelier de Rogier van der Weyden. Un document du 6 septembre 1453 montre que Vrancke van der Stockt est présent comme témoin, au côté de Rogier van der Weyden, lors de la signature du contrat de mariage qui lie l’orfèvre Jan Offhuys de Oude à sa femme Alice Cats. La cérémonie eut lieu au domicile de Rogier van der Weyden dans le quartier du Cantersteen3. Si l’historiographie a parfois voulu y voir une preuve des rapports professionnels qu’entretinrent les deux artistes, il est plus raisonnable de penser que Vrancke fut formé au métier de peintre par son père dont il reprend l’atelier. Pour réaliser notre polyptyque, Vrancke van der Stockt dut être aidé par son atelier, formé entre autres de ses deux fils, comme l’attestent certaines différences d’exécution entre le panneau central et les volets. Till-Holger Borchert propose de voir la participation d’un maître anonyme, que l’on identifie par le nom de convention du Maître de la Légende de sainte Barbara, par rapprochements stylistiques avec des panneaux représentant la légende de cette sainte conservés dans la chapelle du Saint Sang à Bruges ainsi que dans les collections des musées royaux de Belgique à Bruxelles.

 

La personnalité artistique de Vrancke van der Stockt et les œuvres qui peuvent lui être données restent au cœur de nombreux débats. Georges Hulin van Loo fut le premier à rapprocher le nom de Vrancke van der Stockt du triptyque de la rédemption du musée du Prado à Madrid, qui dérive dans sa composition du retable des sept sacrements de Rogier van der Weyden conservé dans les collections du Musée des Beaux-Arts d’Anvers4. À partir de cette première œuvre, d’autres tableaux ont été rattachés au corpus de Vrancke van der Stockt comme une Présentation de la Vierge au temple (collections de San Lorenzo de l’Escorial), un Jugement dernier (Valence), une Résurrection de Lazare (Madrid), une Pietà (musée Mayer van den Bergh à Anvers), une Annonciation (musée de Dijon), une Descente de croix (Alte Pinakothek de Munich) et peut-être la Lamentation de l’évêque Jean Chevrot (La Haye). Fritz Koreny a par ailleurs regroupé un ensemble de dessins sous le nom de Vrancke van der Stockt en croyant reconnaître son monogramme sur plusieurs feuilles dont le style était à rapprocher du cercle de Rogier van der Weyden5. Bart Fransen et Stefaan Hautekeete sont depuis revenus sur cette attribution en démontrant qu’il s’agissait en réalité de la lettre R qui pouvait être lue comme la marque de Rogier ou de son atelier6.

Aujourd’hui, plusieurs historiens de l’art refusent d’associer l’artiste connu sous le nom de Maître de la Rédemption du Prado avec Vrancke van der Stockt et conservent ce nom de convention pour évoquer le corpus d’œuvres qu’il est possible de réunir autour du triptyque de la rédemption du Prado7.

 

D’un point de vue formel, les emprunts à l’œuvre de Rogier van der Weyden sont multiples et polymorphes. Les deux compositions figurant sur les volets latéraux intérieurs de notre triptyque, La Sybille de Tibur annonçant la naissance du Christ ainsi que La Vision des rois mages sont des reprises presque littérales de compositions de Rogier van der Weyden (vers 1400-1464) se trouvant sur le triptyque dit Retable Bladelin appartenant aux collections du musée de Berlin (no 535). Le paysage à l’arrière-plan a toutefois été modifié ainsi que la position de deux des rois mages. Le chien que l’on observe sur la vision de l’Empereur Auguste constitue également un motif rogérien que l’on observe sur un autre retable, celui de Sainte-Colombe de Munich (Alte Pinakothek, no WAF 1189). Il s’inspire également de ce retable pour réaliser la figure à gauche de La découverte de la Vraie Croix par Sainte Hélène.

 

La scène représentant la Sibylle de Tibur peut également être mise en lien avec une autre œuvre se trouvant dans les collections de la Gemäldegalerie de Berlin (no 555 fig. 4) donné à un suiveur de Rogier van der Weyden (peut-être le Maître de la Légende de Sainte Catherine). Katryn Dyballa et Stephan Kemperdick suggère que notre peintre ait travaillé directement d’après ce modèle et non d’après le retable Bladelin dans la mesure où l’on observe le chien sur les deux œuvres ainsi que le même carrelage. Enfin, tel que l’avait déjà remarqué Elisa Bermejo en 1980, la descente de croix centrale peut elle être rapprochée d’une œuvre attribuée à un suiveur de Rogier van der Weyden, que l’on date de 1460-1470, se trouvant également dans les collections de l’Alte Pinakothek de Munich (inv. no 1398), sans que les deux œuvres ne puissent, en toute vraisemblance, dériver du même modèle. Till-Holger Borchert, dans l’essai qu’il consacre à notre triptyque, établit cependant l’hypothèse qu’elles aient pu être réalisées par le même atelier.

Dans leur récent catalogue portant sur les collections de peintures flamandes du XVe siècle de la Gemäldegalerie de Berlin, Katrin Dyballa et Stephan Kemperdick ont rapproché stylistiquement les vierges qui figurent sur le panneau représentant le Jugement dernier, donné avec prudence à un maître bruxellois et au Maître du triptyque de la Rédemption du Prado, (no 600) de notre panneau représentant Hélène et la vraie croix, apportant de nouveaux éléments formels participant à l’identification de la personnalité artistique du peintre .

 

Récemment, Katryn Dyballa et Stephan Kemperdick ont suggéré que notre triptyque pouvait être de la main d’un autre maître bruxellois anonyme, le Maître de la Légende de sainte Catherine, que certains historiens de l’art rapprochent de Pieter van der Weyden, le fils peintre de Rogier. Cette attribution avait déjà été donnée par Max J. Friedländer en 1956. Ces recherches, qui sont inhérentes à la discipline de l’histoire de l’art, ainsi que les questions scientifiques passionnantes qu’elle soulève, montrent à quel point cette œuvre constitue une pièce exceptionnelle pour l’histoire de la peinture bruxelloise de la fin du XVe siècle. Son passage en vente prochain alimentera sans aucun doute de nombreuses discussions qui réuniront amateurs éclairés et professionnels visant à mieux comprendre la production picturale de cette période. 

 

Nous remercions Peter van den Brink de nous avoir confirmé l’authenticité de cette œuvre par un examen de visu le 2 juillet 2024.




1.    Voir sur cette collection : Alessandra Nannini, La quadreria di Carlo Ludovico di Borbone Duca di Lucca, Lucques, 2005. 

2.    Bruxelles, AGR, Archives de la famille van Reynegom de Buzet. Chartier no 1, Charte no 8, inventaire van Nieuwenhuyzen, p. 73, no 266, voir L’Héritage de Rogier van der Weyden. La peinture à Bruxelles, 1450-1520, cat. exp., Bruxelles, 2013, p. 171-172.

3.    Bruxelles, Archives du CPAS, B173/d, voir L’Héritage de Rogier van der Weyden. La peinture à Bruxelles, 1450-1520, cat. exp., Bruxelles, 2013, p. 171-172.

4.    Georges Hulin van Loo, « Vrancke van der Stockt », in Biographie nationale de Belgique, 24, Bruxelles, 1926-1929, col. 66-76.

5.    Fritz Koreny, « Drawings by Vrancke van der Stockt », Master Drawings, 41, 2003, 3, p. 284-285.

6.    Fransen et Hautekeete, in cat. exp. Rogier van der Weyden. The Master of Passions, Leuven, 2009, p. 410-420. 

7.    Voir Lorne Campbell, José Juan Pérez Preciado, Master of the Prado Redemption in cat. exp. Madrid, Museo nacional del Prado, Rogier van der Weyden and the Kingdoms of the Iberian Peninsula, 2015, p. 120-127). 

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