Comment:
Œuvres en rapport :
- Une autre version de notre tableau, huile sur panneau, conservée dans la collection Jacques Combes, Paris, en 1943
- Une copie de cette composition sur toile, datant du XVIIe siècle, se trouve dans une collection privée parisienne
L'histoire de la Commedia dell'Arte et du théâtre italien en France fait immanquablement penser au siècle des Lumières, aux Pierrots et aux Arlequins de Claude Gillot et de Watteau et à l'influence de ces comédies aux intrigues sociales et galantes sur des écrivains comme Beaumarchais ou Marivaux.
Les premiers pas des comédiens italiens sur la scène française eurent lieu cependant dès le XVIe siècle à la cour de Henri III. Notre tableau est l'un des rares témoignages picturaux de ces premières représentations sur scène de la Commedia dell'Arte en France. Genre théâtral populaire et comique, la Commedia dell'Arte fit son apparition en Italie au XVe siècle. Elle était constituée de troupes d'acteurs souvent itinérantes, qui s'étaient approprié les types de la comédie italienne et jouaient masqués en faisant la part belle à l'improvisation. Son succès franchit les Alpes et la première visite d'une troupe de comédiens italiens à Paris eut lieu en 1571 à la cour d'Henri III sous l'impulsion de Catherine de Médicis. La reine mère était particulièrement friande de ces comédies qu'elle avait découvertes au cours de sa jeunesse florentine. Brantôme relate qu'elle " en riait tout son saoul tout comme une autre1 ".
Notre tableau dut être réalisé peu après leur arrivée, dans les années 1570-1580. Le peintre, anonyme, a représenté le portrait d'une troupe où certains personnages caractéristiques de la Commedia dell'Arte sont disposés en frise. Nous reconnaissons ainsi au centre Pantalon, en costume rouge et à la barbe pointue, entouré de deux valets ou zannis. A sa droite se trouve une servante, peut-être Colombine. L'un de ces personnages a placé sa main derrière la tête de Pantalon faisant un signe en V avec deux doigts, esquissant ainsi des cornes qui symbolisent l'infortune conjugale de ce dernier. A sa gauche se trouve au contraire un couple d'amants heureux, en costume Henri III, qui semblent ne pas remarquer l'agitation qui les entourent. A droite de la composition se tient enfin une servante plus âgée, peut-être Ruffiana, qui met l'index sur sa bouche en signe de secret.
Il est difficile de rattacher la scène ici représentée à un épisode précis de la Commedia dell'Arte. La construction de la composition est néanmoins savamment étudiée : les personnages sont disposés en frise avec un souci d'isocéphalie et sont reliés les uns aux autres par le regard ou des gestes de la main. Cette lecture aboutit à la figure de la servante à droite, qui nous regarde et invite ainsi le spectateur dans l'intrigue. Le fond neutre et sombre employé par le peintre permet une mise en lumière des personnages, renforcée par une palette éclatante.
Parmi les autres témoignages picturaux de la présence des comédiens italiens en France à la fin du XVIe siècle, nous pouvons citer deux tableaux les représentant en pied sur scène, l'un conservé au musée de Bayeux et le second au musée Carnavalet à Paris. Une frise de comédiens, donnée à François Bunel le Jeune, plus proche de notre tableau avec un cadrage resserré appartient aux collections du musée de Béziers (fig. 1). Nous connaissons enfin une seconde version de notre tableau qui était conservée dans la collection Jacques Combe à Paris dans les années 1940. Son absence de variantes avec notre composition ainsi que son traitement plus sage et moins détaillé des expressions des personnages laisse à penser qu'il s'agit d'une reprise d'après le tableau que nous présentons.
La qualité de notre tableau le désigne comme l'un des chefs d'œuvres de cette production. Un temps attribué à Pourbus, notre panneau ne peut aujourd'hui lui être donné avec certitude. Son traitement se rapproche de celui de La Femme entre deux âges², autre thème de la Commedia dell'Arte popularisé en France par une gravure de Perret. Notre tableau témoigne d'une réelle maîtrise de la composition, du coloris et des effets de lumière. Ces qualités picturales jointes à la caractérisation des personnages dans ce sujet à la fois populaire et théâtral préfigurent les décennies suivantes de la peinture française et l'avènement des " Peintres de la réalité ".
1. Cité par Charles Sterling, " Early Paintings of the Commedia dell'Arte in France ", in The Metropolitan Museum of Art Bulletin, été 1943, p. 14
2. Vente anonyme ; Paris, Christie's, 22 juin 2005, n° 5 ; voir catalogue d'exposition L'Ecole de Fontainebleau, Paris, Grand Palais, 1972, n° 247.