Comment:
Le Christ est sur la Croix, le sang jaillit de ses blessures et s'écoule dans une fontaine. La Vierge et saint Jean placés sur des branches de candélabres sculptées entourent le Christ tandis que quatre saintes sont figurées de part et d'autre de la fontaine : sainte Marie-Madeleine, sainte Catherine d'Alexandrie, sainte Lucie et une dernière sainte qui est peut-être Agnès. Les donateurs sont représentés en prière par le peintre, dans la partie inférieure de l'œuvre. La donatrice devait se prénommer Lucie si l'on en croit le geste délicat de la sainte placée au-dessus d'elle.
Enfin, les prophètes David et Isaïe tiennent des phylactères sur lesquels on peut lire d'abord : " foderunt pedes meos et manus david " puis " Oblatus est quia ipse voluit et peccata vostra ipse portravit ysa VIII ". Le premier phylactère reprend la déclaration du roi David au psaume 21, vers 17 :
" ils ont percé mes pieds et mains " tandis que le second cite un passage du livre d'Isaïe (53, vers 7) : " Il a été offert parce qu'il l'a lui-même voulu, et c'est nos péchés qu'il a lui-même portés "
Au pied de la fontaine sculptée, le titre " fons misericordiae " renvoie à cette iconographie religieuse particulièrement populaire dans les Pays-Bas de la fontaine de vie ou 'fons vitae'. Les hommes viennent se rafraîchir, se recueillir ou boire auprès de cette fontaine de vie incarnée par le Christ.
Le Christ, qui par son sacrifice, devient le sauveur de l'humanité, incarne ici une figure réconfortante auprès de laquelle les fidèles peuvent se réunir. Source de vie, il arrive que certaines représentations de ce sujet montrent des saints auprès de la fontaine tenant des coupes pour recueillir le sang du Christ sous forme de vin. Cette grande image de dévotion nous frappe par sa grande qualité d'exécution et par son usage de l'or qui l'assimile à une icône. Ce recours à l'or met en lumière cette fontaine de vie richement décorée de sculptures. Malgré quelques manques et un vernis jauni, elle présente un état de conservation remarquable. Le rendu sensible des visages, des carnations et des tissus témoigne du savoir-faire du peintre. Notre œuvre est sans doute à rattacher au foyer bourguignon, au sens large géographiquement. En effet, cette iconographie de la fontaine de vie, sans la présence du Christ, est déjà attestée chez Jan van Eyck. Elle est ensuite traitée, avec l'ajout de la figure du Christ, par plusieurs artistes originaires des Pays-Bas autour de 1500. Nous l'observons ainsi sur un tableau attribué à Colijn de Coter conservé à Porto à la Santa Casa de Misericordia. Elle apparaît également sur une œuvre du Maître de la Fontaine de Vie qui tire son nom convention du tableau conservé à la Galerie Nationale de Prague (inv. n° DO-4131). Cette œuvre a été étudiée par Karel G. Boon qui en a étudié l'épitaphe du prêtre Jan Clemenssoen, mort en 1511. Il l'attribue l'œuvre à un disciple de Geertgen tot Sint Jan, peut-être actif à Utrecht.
Dans les années 1960, notre œuvre a été attribuée au Maître du Retable d'Orsoy, actif à Bruxelles vers 1500 1. En raison de ses caractéristiques stylistiques et de son sujet, sans doute faut-il en effet voir le pinceau d'un artiste des Pays-Bas du Sud.
Au XVIe siècle, cette iconographie connaît aux Pays-Bas un important succès comme en témoignent les nombreuses gravures de dévotion publiées à cette période. Le Christ est tantôt figuré assis près de la fontaine, debout dans les airs derrière elle ou même dans le bassin tenant la croix.
1. L'œuvre est signalée sur la base de l'IRPA (BALat) qui renvoie au répertoire des peintures des primitifs flamands : Giovanni Carandente, 'Collections d'Italie, I, Sicile, Primitifs flamands. II, Répertoire des peintures flamandes des quinzième et seizième siècles', 3, Bruxelles, 1968, n° 27. Elle se trouve alors dans la collection Tasca di Almerita à Palerme.