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Le titre de notre œuvre renvoie évidemment à l'idéalisme comme courant littéraire et pictural qui traversa le symbolisme belge au tournant des XIXe et XXe siècles. Insufflé notamment par Joséphin Péladan, la recherche de l'Idéal tel qu'il nous est enseigné pourrait tout aussi bien être définie comme un rejet du réel, rejet indispensable à la juste création purement intérieure et artistique. L'artiste doit libérer son esprit et son génie créatif de la réalité qui l'entoure, il doit arrêter de penser ce qu'il voit. L'art ne doit plus être le résultat de la pensée, mais la pensée doit découler de l'art. Ainsi, l'acte de création sera dégagé de l'instant présent afin de se déployer dans une forme d'intemporalité propre à l'idée. Cette recherche d'idéal artistique sera appuyée un temps par une pensée ésotérique qui gagna le symbolisme belge dans les années 1890. Cette nouvelle frénésie de la peinture belge verra se mélanger mysticisme, ésotérisme et occultisme, dans un mariage imparfait mais dont les fruits artistiques furent prodigieux, voyant naître parmi les plus grands chefs-d'œuvre de la peinture symboliste.
Emile Fabry fut incontestablement l'une des figures de proue de ce mouvement global, et plus précisément un artiste particulièrement impliqué dans la recherche de l'Idéalisme pictural. Ses premières œuvres témoignent de ces constantes investigations. Toute sa vie, il chercha à détacher son processus créatif de la contrainte du réel, à proposer à ses spectateurs une autre vision de la nature. Notre tableau, dans son camaïeu complexe que l'on croirait fait d'or et d'ocre, s'impose comme une œuvre emblématique dans la carrière de Fabry, mais aussi au sein de ce mouvement pictural. La tentation d'y voir une allégorie de la pensée pure, fière, insoumise au regard hypnotique et effrayant est grande, mais il nous semble interdit de proposer une seule lecture de ce tableau qui ne doit être que le point de départ de pensées aussi nombreuses que les spectateurs qui l'admirent.
Commandé à l'artiste par Victor Horta et Pierre Braecke, fidèles amis du peintre, notre tableau monumental peint en 1901 a le grand mérite de faire cohabiter trois des plus grands noms du symbolisme belge sous un même toit. En effet, notre tableau orna un dessus de cheminée placé dans le salon de la maison-atelier que l'architecte édifia pour le sculpteur entre 1901 et 1903 (fig. 1). Cette toile constitue l'un des plus merveilleux exemples des grands décors réalisés par le peintre à partir du début des années 1900, spécialité dont il devient l'un des plus brillants représentants et qui le fit entrer avec les honneurs dans la postérité.
La datation de l'œuvre revêt un double caractère fondamental et anecdotique intéressants. En effet, la date de 1901 telle qu'elle est traditionnellement entendue par les historiens correspond parfaitement à la réalité de cette toile et à l'importance de sa commande. Toutefois, la datation '1910' apposée sur notre toile nous questionne. En réalité, cette toile, décrochée de son emplacement quelques années plus tard, fut très probablement signée et datée par l'artiste en 1910. Fabry ne signait pas automatiquement ses œuvres, considérant cela comme accessoire. Plusieurs de ses décors, parmi lesquels ceux de l'Hôtel de ville de Saint-Gilles, ou du Théâtre royal de la Monnaie à Bruxelles montrent un écart parfois important entre l'année de réalisation de l'œuvre et la datation apposée par l'artiste.
" Vers l'Idéal " symbolise parfaitement ce que fut la peinture de Fabry et constitue l'une des œuvres les plus importantes du courant dans lequel elle s'inscrit. Et si l'Idéal est une fatalité, une éternelle espérance inaccessible, sur cette toile, Emile Fabry le touche presque du bout de son pinceau.
Nous remercions Jacqueline Guisset pour son avis sur cette œuvre et sa provenance, et pour son aide à la rédaction de cette notice.