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Jean-Honoré FRAGONARD (1732, Grasse - 1806, Paris)
Intérieur d'étable
Estimation:
€300,000 - €500,000
Sold :
€498,560

Lot details

Intérieur d'étable
Huile sur toile

(Restaurations)
Sans cadre

Interior of a stable, oil on canvas, by J. H. Fragonard

Provenance:

Collection Jean-François Le Roy de Senneville (1715-1784), secrétaire du roi et fermier général, Paris ;
Sa vente ; Paris, Hôtel de Bullion, 5 avril 1780, n° 58, avec son pendant : "Deux Tableaux. Etudes, l'un représente un enfant conduisant une vache, l'autre, l'intérieur d'une étable, où l'on voit une vache, et une jeune fille qui parle à un garçon placé sur le haut d'une échelle. Ces deux morceaux, d'une touche hardie et savante, sont aussi d'un beau ton de couleur. Hauteur 20 pouces, largeur 24 pouces. T.", invendus ;
Sa vente, Paris, 26 avril 1784, n° 30, avec son pendant : "Deux tableaux, études savantes et d'un bon effet ; l'un représente un enfant conduisant une vache ; l'autre l'intérieur d'une étable où l'on voit une jeune fille qui parle à un garçon, et plus loin une vache. Hauteur 20 pouces, larg. 24. T.", acquis par M. Dulac ;
Collection particulière, Ile-de-France

Bibliography:

Baron Roger Portalis, 'Honoré Fragonard. Sa vie et son oeuvre', Paris, 1889, p. 280-281
Pierre de Nolhac, 'J. H. Fragonard, 1732-1806', Paris, 1906, p. 133
Georges Wildenstein, 'The Paintings of Fragonard. Complete Edition', Londres, 1960, p. 222, n°112 bis
Gabriele Mandel, 'L'opera completa di Fragonard', Milan, 1972, n° 121
Jean-Pierre Cuzin, 'Jean-Honoré Fragonard. Vie et oeuvre, catalogue complet des peintures', Fribourg-Paris, 1987, p. 348, n° D 77
Carole Blumenfeld, " Réapparition d'un Fragonard à la " touche hardie " ", in 'L'Estampille-Objet d'art', n° 593, octobre 2022, p. 42-45

Comment:
" Il est curieux de voir Fragonard, comme fasciné par la puissance mâle de cette bête [le taureau], reprendre plusieurs fois ce motif : la voici dans l'étable, immobile et massive, ou bien relevant un mufle baveux pour regarder le bouvier embrasser son amoureuse contre la margelle de l'abreuvoir, ou bien encore veillant à côté de la fille endormie dans le foin, comme une sorte de divinité rustique. N'allons pas imaginer là-dessus quelque psychanalyse : l'allusion est claire. Mais Lavreince choisit les symboles polissons, la souris ou la puce ; Greuze multiplie ses oiseaux morts et ses cruches cassées. Telle est justement la distance qui sépare la vraie poésie de la littérature1. "

Selon les mots de l'historien Jacques Thuillier, Fragonard fait donc œuvre de poète en dissimulant un discours licencieux derrière la robuste et familière figure du taureau, là où ses contemporains, en utilisant un vocabulaire symbolique plus discret mais également plus convenu, restent dans une écriture moins aventureuse. Si elles s'inscrivent dans le goût de son siècle, il est vrai que les œuvres à thématique champêtre de Fragonard s'éloignent grandement de celles de ses confrères, comme François Boucher, auquel il est souvent comparé. Galants bergers, paysannes enrubannées aux joues roses, cages à oiseaux et blanches brebis des pastorales de Boucher laissent chez son élève Fragonard la place à des intérieurs paysans aux tonalités brunes, jonchés de foin et d'ustensiles, peuplés de jeunes paysans et de leurs animaux, témoignant de la rusticité des campagnes. Au sein de ces œuvres, le premier rôle est bien souvent donné aux habitants de ces écuries et étables : les animaux, parmi lesquels vaches et taureaux occupent une place de choix.

Ainsi en est-il de l'huile sur toile ici présentée et de son pendant. Non localisé depuis la fin du XVIIIe siècle, cet Intérieur d'étable correspond en tous points au descriptif fourni par les catalogues des deux ventes Le Roy de Senneville2 et tout indique que nous avons ici affaire au pendant du " Jeune garçon conduisant une vache " aujourd'hui conservé au Museum of Fine Arts de Houston (fig. 1), dont il fut séparé probablement dès la fin du XVIIIe siècle, après l'acquisition des deux tableaux par Dulac en 1784. Comme souvent dans le cas de pendants, les compositions se répondent et, dans le cas présent, tissent sans doute même une narration ensemble. Ainsi, il y a fort à parier que le jeune garçon de Houston conduit la vache vers l'étable de la jeune fille où l'attend le taureau. Fragonard propose ici les coulisses de plusieurs rencontres, celle des deux bêtes mais également celle de la jeune fille couchée dans le foin avec le jeune garçon au chapeau apparaissant en haut de l'échelle ou bien avec le gardien de la vache - à moins qu'il ne s'agisse du même ? - laissant l'imagination du spectateur écrire la suite.

Au Siècle des Lumières, de nombreux amateurs français s'intéressèrent à la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Les scènes de genre tantôt délicates tantôt truculentes, les précieuses natures mortes des peintres des Ecoles du Nord ainsi que leurs paysages verdoyants séduisirent les collectionneurs et vinrent orner les murs de leurs demeures. Ce goût ne manqua pas de se répandre également parmi les artistes qui fréquentaient ces amateurs et purent s'imprégner des subtiles atmosphères des peintres de Leyde, Haarlem ou Amsterdam, jusqu'ici délaissés au profit des maîtres italiens.
En ce qui concerne Fragonard, il n'échappa pas à cette tendance et développa une grande admiration pour le paysage hollandais et particulièrement pour l'art de Jacob van Ruysdael, mais également pour Rembrandt, sa manière singulière et puissante, sa touche visible et rugueuse et la sensibilité de ses effets de lumière. Cette admiration et cette dette esthétique sont particulièrement palpables dans le Taureau blanc à l'étable du musée du Louvre, pour reprendre une thématique proche de notre tableau. Au sein de notre Intérieur d'étable, nous remarquons également une touche virtuose et une matière généreuse, visible notamment dans l'épais pelage du taureau ou celui du petit chien se trouvant devant lui. Un regard vers Paulus Potter, ses études de bovidés (fig. 2) et son célèbre 'Taureau', sujet central d'une monumentale toile3, est également sans doute à discerner dans les travaux de Fragonard sur ces animaux.

Le peintre français a en effet multiplié les études dessinées de taureaux à l'étable, notamment au lavis. Cependant, chez lui, taureaux et vaches sont souvent accompagnés de leurs gardiens, jeunes paysans et paysannes, et, par leurs attitudes calmes et attentives, se font les muets complices des affaires humaines, souvent amoureuses, qui se trament sous leurs yeux. Citons dans ce registre deux dessins, 'L'étable' du musée Cognacq-Jay (fig. 3) et 'Le taureau indiscret' dans une collection privée. Nul ébat, nulle embrassade encore au sein de l''Intérieur d'étable' et de son pendant, mais, comme nous en avertissent les Goncourt " Fragonard s'amuse : prenez garde, il va polissonner !4 ". Nous voilà prévenus !

1. J. Thuillier, 'Fragonard', Genève, 1967, p. 114.
2. Voir provenance : " l'intérieur d'une étable, où l'on voit une vache, et une jeune fille qui parle à un garçon placé sur le haut d'une échelle ".
3. Huile sur toile, 235 x 339 cm, 1647, La Haye, Mauritshuis.
4. Ed. et J. de Goncourt, 'Fragonard', Paris, 1865, p. 30.


"It is curious to see Fragonard repeating this motif several times as if he was fascinated by the masculine power of this beast [the bull]: in the stable, immobile and massive, or raising a drooling muzzle to see the cowherd kissing his sweetheart against the edge of the drinking trough, or again, beside a girl sleeping in hay, like a sort of rustic divinity. We shall not imagine any form of psychoanalysis of this: the allusion is clear. But Lavreince chose refined symbols, a mouse or a flea; Greuze often showed dead birds and broken jugs. Such is precisely the distance that separates real poetry from literature."1

According to the art historian Jacques Thuillier, when hiding a licentious discourse behind the strong and unpretentious motif of the bull, Fragonard was acting like a poet where his contemporaries, by using a more discrete symbolic vocabulary that was also more conventional, remained within a less adventurous language. Although they match the tastes of his century, it is true that Fragonard's pastoral works are very different to those of his colleagues, such as François Boucher for example, with whom he is often compared. The gallant shepherds, rosy-cheeked peasants wearing ribbons, bird cages and white goats of Boucher's pastoral scenes are replaced in his pupil Fragonard's work by peasant interiors in brown tones, littered with hay and tools, inhabited by young peasants, and their animals emphasize the countryside's rusticity. In these works, the starring role is often given to the inhabitants of these stables and barns: animals, among which cows and bulls occupy a prominent place.


This is the case for the oil painting presented here and its pendant. Untraced since the end of the 18th century, this scene inside a stable corresponds precisely to the description given by the catalogue of the two Le Roy de Senneville2 sales. Everything points to this being the pendant of the "Young Boy Leading a Cow" now in the Museum of Fine Arts Houston (fig. 1), from which it was probably separated as early as the late 18th century, after both paintings were acquired by Dulac in 1784. As is often the case for pendants, the compositions reflect each other and here weave together a single narrative. Hence, the boy in the Houston painting is probably leading the cow towards the girl's barn, where the bull awaits. Here Fragonard shows several encounters in private. That of the two animals, and also the meeting of the girl lying in the hay and the boy wearing a hat at the top of the ladder or even her encounter with the cow's guardian - unless both boys are same individual ? - allowing the viewer's imagination to write the next episode.

During the Age of Enlightenment, many French collectors were interested in Dutch 17th century painting. Genre scenes, either delicate or unpretentious, precious still lifes by painters of the northern schools, as well as their verdant landscapes, all seduced collectors and decorated the walls of their homes. This taste also spread among artists who visited these collectors and were able to immerse themselves in the subtle atmospheres of the painters of Leiden, Haarlem and Amsterdam, who had until then been neglected to the advantage of Italian masters.

Fragonard did not escape this trend and developed a great admiration for Dutch landscape, especially the art of Jacob van Ruysdael. He also appreciated Rembrandt, his unique and powerful manner, his visible and earthy touch, and the sensitivity of his lighting effects. This admiration and aesthetic debt are especially palpable in the Louvre's White Bull in a Stable which repeats a theme close to our painting. In our Interior of a Stable, we similarly notice a virtuoso touch and generous manner, visible for example in the bull's thick coat, or the fur of the little dog at the front. A look to Paulus Potter, his bovine studies (fig. 2) and his famous Bull, the central subject of a monumental painting,3 are also doubtless to be seen in Fragonard's works showing these animals.

In fact, the French artist created multiple drawn studies of bulls in a stable, frequently using wash. Moreover, he often showed bulls and cows with their guardians, young peasants, and with their calm and attentive attitudes, making them the silent accessories to human dealings, often love affairs, that brew under their gaze. Examples of this type of composition are two drawings, The Stable in the Musée Cognacq-Jay (fig. 3) and the Indiscreet Bull in a private collection. No frolicking or kissing yet in our Interior of a stable and its pendant, but, as the Goncourt warn us, "Fragonard is enjoying himself: beware, they're about to get up to something!"4. We have been warned!

Traduction par Jane MacAvock

1. J. Thuillier, 'Fragonard', Geneva, 1967, p. 114.
2. See provenance : " l'intérieur d'une étable, où l'on voit une vache, et une jeune fille qui parle à un garçon placé sur le haut d'une échelle ".
3. Oil on canvas, 235 x 339 cm, 1647, The Hague, Mauritshuis.
4. Ed. and J. de Goncourt, 'Fragonard', Paris, 1865, p. 30.

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