Comment:
De Richelieu à Louis XVI, souverains et ministres n'eurent de cesse de tenter de mettre un terme à la pratique du duel, duels d'honneur notamment, au cours desquels s'affrontaient deux participants dans le but de laver, souvent par le sang, l'offense de l'un faite à l'autre. Après la Révolution, cette pratique connut une certaine recrudescence et entra dans les mœurs de la société aristocratique et bourgeoise du début du XIXe siècle. Codifié avec précision, le duel fait même l'objet de manuels dédiés qui en déclinent les règles1 : armes (épée ou pistolet), choix du lieu et de la date laissé à l'offensé, nombre de témoins, type (au premier sang ou à mort)…
Le caractère historique de cette pratique ainsi que les conséquences dramatiques des duels ne manquèrent pas d'inspirer les artistes du début du XIXe siècle, tant dans le registre Troubadour, mettant en scène les célèbres assassinats du passé, que dans le contexte du Romantisme, permettant la représentation de scènes tragiques et d'intenses émotions. Nul besoin que les protagonistes soient des personnages historiques, le duel touche la société contemporaine et devient à ce titre le sujet de tableaux que l'on pourrait qualifier " de genre ". Ainsi, au Salon de 1822, Pierre-Roch Vigneron expose " Un duel ", non localisé mais connu par la lithographie, où un blessé gît à terre, entouré de ses deux témoins, tandis que son adversaire lui tourne le dos. Commentant le Salon de 1822 et ce tableau, Charles Landon déplore vivement ce phénomène : " Le peintre a mis sous nos yeux un de ces évènemens déplorables qui se renouvellent chaque jour, et que l'on ne peut parvenir à réprimer. Un jeune homme dont la physionomie annonce un état distingué, a été appelé en duel par un de ces spadassins de profession, qui sont la honte et le fléau de la société. " Craignant que ce type de sujets ne fasse florès, le critique s'attriste que l'artiste préfère " se faire une clientèle particulière parmi ceux qui cherchent des émotions fortes " et espère que Vigneron, créateur de ce " genre sinistre ", " ne fera pas école ".
Las ! en 1826 puis au Salon de 1827, c'est au tour du jeune Paul Delaroche d'exposer sa version des 'Suites d'un duel' dans le tableau que nous présentons, non localisé depuis son exposition à Douai en 1833 et que nous avons eu le privilège de redécouvrir. La scène pourrait suivre de peu celle du tableau de Vigneron. Elle se situe dans l'intimité d'un intérieur où la victime du duel a été transportée. Sur la chaise à gauche se trouve, avec le costume et l'épée, l'explication de l'état dans lequel se trouve l'homme couché dans son lit, dont le teint tournant vers le gris et l'expression d'abandon n'indiquent rien de bon. Sur un guéridon à gauche, flacons d'alcool et bandes de tissus témoignent des soins prodigués par la jeune femme éplorée qui se penche sur lui. Une lampe à huile éclaire cette chambre dont chaque détail, des lattes du parquet au lit bateau en passant par un paravent de cuir et un rideau rouge, a été minutieusement traité.
Le soin apporté à cette touchante scène, tant dans son exécution précise que dans le rendu des expressions des personnages, sa sobriété, l'intelligence de la composition et de la discrète narration annoncent les talents de peintre d'histoire qui seront ceux de Paul Delaroche, qui se fit l'illustrateur poignant de nombreux événements dramatiques des siècles passés et dont l'influence sera considérable sur l'un de ses plus brillants élèves, Jean-Léon Gérôme, dont les célèbres 'Suites d'un bal masqué' ne sont pas sans rappeler celles de notre duel.
Nous remercions Monsieur Stephen Bann de nous avoir aimablement confirmé l'authenticité de cette oeuvre ainsi que pour son aide à la rédaction de cette notice.
1. Citons par exemple l''Essai sur le duel' publié par le comte de Châteauvillard en 1836.
2. Annales du musée, 1822, vol. II, p. 119, cité par St. Bann in 'op. cit.', 2022.