Comment:
La Vierge couronnée et sainte Anne voilée, assises côte à côte sur une large banquette placée sur un socle proéminent imitant la pierre, se détachent sur le fond d'or guilloché du panneau. L'Enfant, vêtu d'un simple linge sensé couvrir sa nudité, est installé entre les deux saintes femmes. Dans sa main droite, il tient un petit chardonneret, symbole de la Passion, retenu aux pattes par un fil le reliant à la Vierge tandis que sa main gauche plonge dans une corbeille remplie de cerises, fruit du Paradis symbolisant le ciel, que lui tend sainte Anne.
Notre panneau n'a pas de fortune critique et une ancienne attribution à Pere Espallargues semble devoir être légèrement modifiée.
Les personnages reprennent ici le type féminin des peintures créées par cet artiste dont le 'retable de la Vierge' de l'église paroissiale d'Enviny (Catalogne, province de Lerida) est la seule œuvre signée et datée de 1490(1) de ce peintre originaire de Molins, région de Ribagorce. Autour de cet ensemble, les historiens ont dressé le catalogue fourni de la production de cet artiste (2). Par le testament de son fils, rédigé le 29 janvier 1529 à Barcelone, on sait aussi que "Pere Des Pallargues" travaillait comme peintre à Benabarre également située dans le comté de Ribagorce.
Or, en 1473 Pere Garcia de Benabarre, documenté de 1445 à 1496, s'installe comme peintre à Lérida après avoir quitté Barcelone où, depuis 1455, il a dirigé pendant cinq ans l'atelier de Bernart Martorell après la disparition de ce dernier. L'élongation corporelle des personnages, leur élégance servie par un dessin linéaire souple et une ornementation délicate caractérisent les œuvres produites par Pere Garcia dans les années 1460-1470 où l'emprise de Jaime Huguet, autre grande personnalité artistique catalane, demeure prégnante comme dans 'La Vierge et l'Enfant et quatre anges', panneau du 'retable de Bellcaire d'Urgell '(Noguera)(3). Les panneaux que Pere Garcia produira peu après à Lerida, comme le 'retable de Saint Jean-Baptiste' provenant de l'église paroissiale de San Juan del Mercat dans la région de Segre (Lerida), montrent l'intervention d'aides dans la conception plus mécanique de la composition et de la réalisation des personnages. Parmi ces aides figuraient sans doute Pere Espallargues et le Maître de Viella (Vielha) (4).
Ces trois artistes constituent à ce moment à Lerida un foyer artistique important, offrant dans leurs œuvres de manifestes similitudes de style : que ce soit la symétrie de la composition, la conception d'une perspective toute relative ou bien, dans les scènes historiées, l'animation que créent les personnages aux visages oblongs, aux regards obliques, aux bouches entrouvertes. Dans les détails, ces peintres affectionnent le canon étiré des corps soulignés par les vêtements aux plis empesés. Tous trois partagent ces caractères avec plus ou moins d'accentuation et utilisent abondamment l'ornementation dorée en relief, gravée ou poinçonnée, technique importée d'Aragon par Pere Garcia lorsqu'il travaillait à Saragosse.
Ces critères se retrouvent dans notre tableau où l'on note cependant un dessin plus sec, des visages plus ronds, des expressions plus sévères marquant un certain détachement par l'impassibilité des regards. Tout ceci trahit la main d'un aide se démarquant du trio artistique précité mais qui, selon les habitudes des ateliers médiévaux, cherche à se rapprocher, autant que faire se peut, de la manière du maître.
1. Retable partagé entre New York, Historical Society of America et Philadelphie, Pennsylvania Museum of art, repr. in 'L'Art gotic a Catalunya. Vol. III. Pintura', Barcelone 2006, p. 181.
2. Cf. C.R. Post, 'A History of Spanish Painting, the Catalan School in the late Middle Ages', Cambridge Mass. 1938, Vol. VII, 1, p. 238-264 ; J. Gudiol Ricart, S. Alcolea i Blanch, 'La pintura Gotica Catalana', Barcelone 1986, p.191-196 ; X. Company, I. Puig Sanchis in 'L'Art gotic a Catalunya, op. cit'., p.178 sq.
3. Conservé à Barcelone, Museu Nacional d'Art de Catalunya, 15817 ; cf. cat. exp. 'Cathalonya, Arte gotico en los siglos XIV-XV', Madrid, musée du Prado, 1997, n° 32.
4. 'Ibid.', n° 31 ; sur le Maître de Viehla cf. J. Gudiol 'op.cit.', cf. également A. Velasco Gonzalez,' El Mestre de Vielha : un pintor del tardogotic entre Catalunya i Arago', Leida, 2006, p. 44-53, où cet auteur tente de reconnaître en Bartomeu Garcia (fils de Pere Garcia) l'identité du Maître de Veihla.