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Pieter Coecke est un acteur très important pour les échanges artistiques entre la Flandre et l'Italie au début du XVIe siècle. C'est à lui que Raphaël adresse les cartons qu'il a dessinés en 1515 et 1516 pour la tenture des Actes des Apôtres qui doit être tissée à Bruxelles et il fait partie de la première génération de peintres flamands qui voyagent en Italie. A son retour, il s'installe définitivement à Anvers, vers 1522, et y épouse la fille du peintre Jan van Dornicke dont il reprendra l'atelier.
Il traduit en flamand le traité d'architecture de Serlio, architecte qui a séjourné à Rome en même temps que lui. Editée entre 1539 et 1550, cette traduction diffuse les lois de la perspective utilisées ici pour dessiner le pavement et ordonner des éléments d'architecture empruntés à l'ouvrage : colonnes et emmarchements à décor Renaissance. Cette structuration de l'espace se retrouve dans plusieurs de ses œuvres.
Artiste polyvalent, il est connu comme peintre, architecte, dessinateur, et éditeur. Sa renommée lui vaut d'être nommé " peintre ordinaire " de Charles Quint et Marie de Hongrie. Il travaille pour des œuvres exposées aux yeux de tous, vitraux ou tapisseries, qui sont des vecteurs efficaces pour la diffusion de ce que l'histoire de l'art retient comme le " maniérisme anversois ". Cette Annonciation en est un très bel exemple.
Détournant le regard comme il sied au sujet, la Vierge est encore très marquée par les primitifs flamands tandis que la posture déhanchée de l'ange, l'ampleur de son geste et le mouvement de son vêtement sont déjà maniéristes. Il n'apporte pas de lys comme le voudrait l'iconographie traditionnelle mais porte le bâton des messagers. Le Protévangile de Jacques situe la scène dans la maison de Marie : " Et ayant pris une cruche, elle alla puiser de l'eau, et voici qu'elle entendit une voix qui disait : -je te salue Marie pleine de grâce, le Seigneur est avec toi, tu es bénie entre toutes les femmes. Marie regardait à droite et à gauche afin de savoir d'où venait cette voix. Et, étant effrayée, elle entra dans sa maison et elle posa sa cruche et, ayant pris la pourpre, elle s'assit sur son siège pour travailler. Et voici que l'ange du Seigneur parut en sa présence et lui dit : -Ne crains rien Marie, tu as trouvé grâce devant le Seigneur ". Deux oranges et des burettes sont posées sur le buffet. Le motif apparaît aussi sur une console à droite de la cheminée, dans l'Annonciation de Rogier van der Weyden conservée au Louvre. En néerlandais, les oranges, sinaasappel, sont des " pommes de Chine ". La Bible ne précisant pas la nature du fruit défendu, la tradition en a fait une pomme dont le nom latin, malum, signifie aussi le Mal mais certains artistes, se souvenant que le paradis terrestre est situé en Orient, la remplacent par une orange, plus exotique. Ici, les deux oranges, image du péché originel commis par Adam et Eve, rappellent que Marie est, dans la Bible, la seconde Eve comme Jésus sera le second Adam. Les trois livres à côté, disposés en forme d'autel, sont le signe du sacrifice à venir.
Pieter Coecke place volontiers des objets entre le sujet du tableau et le spectateur, donnant ainsi du réalisme à la scène tout en marquant la distance qui convient entre le sacré et le profane. Le bougeoir tient ici ce rôle. Marie n'a pas encore répondu, seul son " Oui " allumera la bougie pour éclairer le monde. Une légende raconte que, la nuit de la Nativité, une chatte a déposé à la crèche sa portée de chatons et cet animal est parfois associé à la Vierge. Lorenzo Lotto, par exemple, en introduit une dans l'Annonciation datée de 1527, conservée à la Pinacothèque de Recanati.
Nous remercions Peter van de Brink qui a confirmé l'attribution de ce tableau le 3 avril 2014.