ROG JARL A NATHANIEL
EXCEPTIONNELLES LETTRES DE ROGER GILBERT LECOMTE À RENE DAUMAL. PHRERES SIMPLISTES. DOCUMENT DE LA PLUS GRANDE RARETE.
2 p. in-4. Signées Rog Jarl. Reims, fin 1925. Belle écriture, très lisible, remplissant la totalité des pages, quelques calligrammes et des croquis. Les textes sont positionnés de façon aléatoire et sont autonomes.
Encore Simplistes, ils n'ont pas vingt ans, Roger Gilbert-Lecomte reste à Reims, il s'est inscrit à l'Ecole de médecine, il est fasciné par les dissections. Daumal est à Paris à Henri IV. Gilbert-Lecomte souffre de la solitude de Reims, il l'écrit, il sait qu'il ira à Paris en 1927, il en est persuadé, mais en attendant il subit les cours et se libère dans l'excès. Il lui écrit une lettre, certainement sous l'emprise de quelques hallucinogènes. Descriptions de rêves : "La leçon de piano le plancher mi-mouvant du premier étage est couvert d'un chemin de table les attaques de l'inoffensif chat laine et coton / Faire des gammes des arbres plaqués."
Textes de pure création qui pourrait être d'un rêve éveillé : "Macchabée saoul de Sodas de Sodome dixit calamo Johanni Coctali", "Chez nous la vitesse est beaucoup plus importante que chez vous. Je ne parle pas de la vitesse qui se déplace d'un point à un autre mais de la vitesse qui ne bouge pas de la vitesse elle même. Notre vitesse est si forte qu'elle nous situe à un point de silence de monotonie."
Revenant à des considérations plus humaines, il s'inquiète : "J'ai peur, j'ai très peur pour Roger [Vailland]. J'ai peur aussi pour Robert [Meyrat]. Et puis il fait peur cette nuit de névrose d'angoisse. Nathaniel, Nathaniel pourquoi nous ont-ils séparé ? Depuis longtemps il n'y a plus personne ici. Non plus personne. (Dis je très haut d'un ton parfaitement naturel.)"
"Et puis et puis… samedi soir… Ton arrivée…Aller à la gare…Ah ! Ah ! Ah ! Le Stryge [surnom de R. Meyrat] aura pris le train depuis 45 minutes. Quant à moi… Je vais au bal !"
"Vers quels exodes Ô les exodes ! Ô cette nuit de dimanche-lundi le grand rapide Coblentz-Paris, qui très haut son ombre sur moi, s'ébranle soudain sans que je l'entende, et partit dans le silence provincial et puis strida [sic] en agitant vers moi un petit mouchoir. p.o.u.r.q.u.o.i.n.a.i.j.e.p.a.s. sauté d.a.n.s.l.e.w.a.g.o.n.d.e.q.u.e.u.e. ? Où donc ? Paris nocturne ? Pernambouc-les-banans [référence à un texte Simpliste de Daumal Le Royaume de Pernambouc] Sinon céleste ? La Mecque humaine dans le désert d'encens dont je rêvais vers douze ans". Descriptions du cours d'histoire naturelle avec Pé Mire, surnom du professeur Charles Mir. "Pé Mire me fit disséquer une pelure d'oignon et un hareng (décrire les impressions que l'on éprouve à ce moment)". Le texte qui va suivre est une vue de la salle de dissection vue par Gilbert-Lecomte, violente et morbide, il insiste sur la maigreur de l'adolescent, difficile de ne pas voir le renvoi en miroir de son propre état physique : "Je me suis enfin fait 4 amis et demi dont une jeune fille qui a les cheveux en brosse : un vieillard robuste à barbe blanche et aux pieds noirs dont un œil se liquéfie, un adolescent si maigre, si maigre, la femme a des inscriptions obscènes gravées sur le ventre, un mâle trapu et unijambiste dont le sexe noir a le gland relié au prépuce par une épingle à nourrice et la moitié d'un être vague dont le pied a l'orteil sectionné et la tête vide. Ils s'ouvrent tous à deux battants par moments. Ils me regardent tristement sans parler. Ils ont bien froid sur la dalle de la grande salle qui sent le formol. Je crois que les démons hurleurs viennent parfois les torturer. Si tu voyais la maigreur de l'adolescent !".