Texte patriotique et engagé pour les générations futures
QUI HORS DE VOUS PEUT SAUVER LES ENFANTS DE FRANCE ?
8 p., numérotées par l'auteur en chiffres romains. Papier filigrané, dont une page recto-verso. S.d. vers 1941-1942 (?). Ecriture assez lisible. Inédit.
Remarquable plaidoyer adressé à ceux qui "luttent contre l'Allemagne" mais sans tenir compte des générations futures qu'il faut sauvegarder. Ce texte très virulent s'inscrit tout à fait dans les Ecrits de guerre.
Qu'ils le veillent ou non, les combattants, les dirigeants sont investis d'une charge très lourde : "c'est une condamnation à mort ou une grâce que vous avez à prononcer…". Ce long discours vise à responsabiliser les hommes face aux générations futures : "ce chaînon qui lie la chaîne des générations françaises dépend de vous, la vie des enfants de France repose sur vous". Ils ne peuvent se soustraire à leur rôle : "Vous êtes aujourd'hui les jurés des enfants de France. Vous ne vouliez pas de ce pouvoir ? Vous en êtes investi quand même". Le choix est urgent ("il s'agit en cet instant d'une question de vie ou de mort"), et continuer à réfléchir, ne pas agir immédiatement entraine des morts : la vie "tue les enfants pendant que vous vous décidez à les sauver. Et quand vous avez résolu votre problème en décidant de sauver les enfants, les enfants malheureusement sont mort." Ne pas agir revient à tuer : "Ainsi d'un foyer d'incendie que je rencontre dans la forêt. Je puis l'annuler d'un coup de pied. Mais je me contente de le regarder sous prétexte que je ne l'ai pas allumé et que la forêt n'est pas la mienne. Cela est vrai. Mais si vous me condamnez comme incendiaire vous aurez quand même raison." Tout homme est donc responsable : "Parce qu'un homme est responsable du sort de tous les hommes dans la mesure où, par la force des choses, il s'en trouve maître. C'est ça la civilisation."
L'auteur souligne qu'une fois la guerre finie, la France aura besoin des enfants d'aujourd'hui, et il met en garde avec cette expression très forte : "Que l'Allemagne soit vaincue ou non, si la France a été dépeuplée, ce sont les Allemands qui la cultiveront." En somme, sauver les enfants, c'est sauver la France : " Si vous laissez mourir les enfants de France qui occupera et cultivera les terres de France ? Il faudra bien des laboureurs". Aussi, l'homme d'aujourd'hui doit s'engager et faire en sorte que ceux de demain puissent être, et emploie l'image des savants illustres cités dans Pilote de Guerre : "Et quand vous entendez crier vers le lait les enfants de France, dites vous que ce sont les Pasteur de demain, les Cézanne de demain, les Renoir de demain, les Bergson de demain qui crient vers le lait parce qu'ils n'ont pas encore d'autre langage. Et vous en avez besoin. Nous avons tous besoin les uns des autres."
Dans ce discours magnifiquement humaniste, l'orateur a recours notamment à des métaphores fortes pour convaincre à l'action : "Si je suis assis sur le bord d'un fleuve et qu'un homme se noie et que je puis tendre la main et le sauver, je suis responsable de cet homme. Nul cependant ne m'en a confié la charge. J'ai mes devoirs ailleurs. Il se peut même que cet homme je le déteste. Me voilà peut-être bien encombré d'être propriétaire de cette vie. Mais cela est ainsi. Puisque cette vie dépend de moi seul que je le veuille ou non j'en suis responsable..."
Tous ces arguments donnés, Saint-Exupéry renvoie les Hommes à leur conscience : "Et maintenant vous qui êtes les jurés vous allez décider."
EXCEPTIONNEL TEXTE, D'UNE RARE ELOQUENCE POUR SAUVER LES ENFANTS DE FRANCE.
Le premier feuillet traite d'un autre sujet : le brevet pour un procédé de transmission. "Si au contraire nous permutons par exemple entre eux à une certaine fréquence, soit dix permutations seconde, le sens du courant dans les déflecteurs qui pilotent horizontalement le rayon cathodique…". A son verso, essais de plume et début d'une lettre : "Cher ami, comment allez-vous…"