"UNE SYMPHONIE D'UN AUTEUR COMPLETEMENT INCONNU INSPIRE TOUJOURS DE LA DEFIANCE"
Moscou, 25 oct./6 nov. 1876. 3 p. in- 12. sur papier frappé de ses initiales cyrilliques... En français. Lettre d'une très grande importance sur la vision critique et la perception de son œuvre par le public, il est dans le doute et se considère comme un compositeur inconnu. "Cher maître et ami ! Vous avez eu l'extrême bonté de m'avoir demandé, quelque composition à moi qui eut pu être jouée sous votre direction à Bruxelles. Si jusqu'à présent je ne vous ai rien expédié c'est que j'étais dans l'indécision : laquelle de mes œuvres serait la plus propre à me présenter au public éclairé de votre capitale. J'ai trois simphonies [sic] dont la première [la n° 1 en sol mineur, op. 13, dite 'Rêves d'hiver', révisée pendant l'été 1874] n'est gravée qu'en partition, la deuxième [en ut mineur dite " Petite Russie "] qu'en arrangement de pianos [la partition sera révisée entre décembre 1879 et janvier 1880] et ce n'est que la troisième qui va être bientôt gravée (partition et partie séparées) d'une manière complète. [En ré majeur dite 'Polonaise']. "C'est celle aussi que je considère comme la meilleure, du moins comme la plus mure des trois. Outre cela j'ai une Ouverture de concert (Roméo et Juiliette [sic]), une fantaisie simphonique (La Tempête) une autre intitulée Francesca da Rimini, des ouvertures et des morceaux détachés de mes opéras. Après mûres réflexions c'est l'ouverture de Roméo et Juillette [sic] que je crois de toutes mes choses celle qui a le plus de chances pour plaire aux publics étrangers. Une simphonie d'un auteur complètement inconnu inspire toujours de la défiance. Le public dit : il y en a tant de célèbres, pourquoi nous veut on nous ennuyer pendant une heure avec l'œuvre d'un inconnu?... Ainsi donc c'est l'ouverture en question que je recommande à votre bienveillante attention. Elle est gravée chez Bote & Bock à Berlin... " Il serait prêt à fournir d'autres partitions si celui ci le désirait. "Quant à la troisième simphonie dés que ce sera prêt je vous l'expédierai. Veuillez donc cher et excellent ami me donner un mot de réponse et sachez que dans tous les cas je suis et je serai votre ami fidèle et profondément reconnaissant."
Tchaïkovski est au sommet de son art, il est dans la genèse du Lac des Cygnes et va écrire sa quatrième symphonie dite du "destin", une œuvre majeure de la fin du XIXe s. Pourtant, il est aussi dans un grand doute : le manque de reconnaissance qui l'affaiblit terriblement. Cette lettre nous montre un grand musicien défendant son art, et cherchait à le vendre à un chef d'orchestre. C'est tout son génie qu'il met à nu. Lettre considérable aussi car elle nous donne des indications sur sa propre lecture de son œuvre, ce qui est très rare de sa part.