La vue du Colisée signée et datée 'I.P PANINI Px 1743' en bas à gauche
Dans des cadres à canaux en chêne sculpté et doré, travail français d'époque Louis XVI
View of Campo Vaccino and View of the Colosseum, Rome, canvas, a pair, one signed and dated, by G. P. Panini
29.13 x 38.58 in.
Dans la famille des actuels propriétaires depuis le milieu du XIXe siècle ;
Collection particulière, Oise
Cette magnifique paire de toiles inédites représente deux vues emblématiques de la Rome antique, l’une dirigée vers le Forum, le Capitole et la ville, l’autre montrant les célèbres ruines du Colisée et de l’arc de triomphe de Constantin.
La première est prise depuis la Via Sacra, l’axe principale de l’ancienne cité, devant l’arc de Constantin en regardant vers le Nord jusqu’à la colline du Capitole. Elle décrit, de gauche à droite, l’angle de la façade de Santa Maria Liberatrice (démolie en 1899), immédiatement au-delà se trouve le temple de Castor et Pollux, formé de trois colonnes surmontées d’une section d’architrave ; à l’arrière-plan se dressent les ruines du Temple de Saturne. Au centre de la perspective, à travers l’arc de Septime Sévère, des marches mènent au Capitole. La tour du Palais Sénatorial, le plus haut point de repère à l’horizon, se détache de la masse des bâtiments. A sa droite, au loin, la Piazza del Campidoglio est cachée de notre regard, mais on peut repérer le transept de la basilique de Santa Maria in Aracoeli. Au-dessous, l’arc de Septime Sévère dépasse des arbres, laissant surgir la coupole de l’église des Santi Luca et Martina. Les arches de la basilique de Maxence et Constantin se dressent à l’extrême droite de la toile.
Cette veduta décrite suivant sur cette orientation vers le Nord n’était connue chez Panini que par une seule autre version en collection particulière1, comprenant de très nombreuses variantes à la fois dans l’angle de la prise de vue, dans le choix des bâtiments antiques, et dans le nombre et la place des personnages.
Le pendant représente le Colisée depuis l’actuelle via Celio Vibenna2. De gauche à droite, on découvre les ruines du Palatin, l’Arc de Constantin et l’amphithéâtre du Colisée. On peut le rapprocher avec la vue proche, signée et datée de 1735, du Detroit Institute of Art, qui présente cependant des similitudes dans la partie droite de la composition, mais comprend de nombreuses différences dans l'angle de la prise de vue et dans les figures3.
Peinte vers 1750, notre paire montre l’artiste au sommet de son talent, se réinventant encore dans sa carrière. Jusque-là , Panini avait peint de nombreuses vues du Forum, mais prises depuis le Clivus Capitolinus4 - la route qui monte au Capitole - en regardant vers le Sud en direction de l’arc de Titus, parfois associées à une vue du Colisée. Il est alors célèbre pour ces reconstructions imaginaires, ses capricci, très demandés par les collectionneurs. Par opposition, il donne ici deux paysages avec une topographie précise, un genre plus rare dans son œuvre. Il renforce un sentiment de réalité en animant le site antique de personnages contemporains vacant à leurs occupations : certains conversent, se déplacent sur un âne, une blanchisseuse porte son linge, une bergère garde son troupeau, certains sont pieds nus. Toute la virtuosité du peintre est d’unifier la scène par un fort contraste établi par l’ombre profonde créée par la façade à gauche et au premier plan, ou par le talus sur la seconde toile, ce qui renforce le sentiment de recul spatial, et le reste de la scène baignée d’une lumière ensoleillée.
Panini combine des éléments architecturaux en ruine à d’autres plus modernes dans un cadre pittoresque. Pour l’amateur de l’époque, les visiteurs du Grand Tour, ces vues panoramiques fixaient le souvenir d’une destination culturelle de premier plan -Rome -, de l’héritage classique, dans une œuvre à la fois décorative et intellectuelle.
L’artiste
Panini fut le peintre le plus éminent du genre de la veduta à Rome durant le deuxième tiers du XVIIIe siècle. Il aurait été formé dans sa ville natale avec le peintre d’architecture Bibiena, il s’installe à Rome en 1711 et y reste jusqu’à la fin de sa vie. Agréé à la Congregazione dei Virtuosi du Panthéon en 1718, à l’âge de dix-sept ans, il entre peu après à l’Académie di San Luca, dont il est élu principe en 1754. Dans sa jeunesse, sa clientèle est exclusivement la noblesse romaine, pour laquelle il décrivait avec précision les diverses splendeurs de la Rome antique et moderne. Admis à l’Académie de France à Rome en 1732, il reçoit des commandes d’une clientèle de plus en plus internationale. Des commanditaires royaux et aristocratiques français, espagnols, et anglais achètent ses toiles ; parmi ceux-ci, Philippe V d’Espagne, qui commande un tableau à l’artiste en 1735 et, trois ans plus tard, il peint une série de cinq tableaux pour Marble Hill House à Richmond, puis il travaille pour les chargés d’ambassade de France auprès du Saint-Siège ; enfin pour le roi de Sardaigne, en 1752.
Les vedute de Panini ont eu une influence durable sur les peintres de la seconde moitié du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Hubert Robert, arrivé à Rome en 1754, a ensuite diffusé son style dans la ville éternelle, puis en France. Le rendu atmosphérique de ses tableaux a été comparé aux premières œuvres de Corot, à ses vues de plein air d’Italie, où les harmonies tonales sont renforcées par la lumière chaude méridionale. C’est aussi le cas pour notre paire.
[1] Vente Londres, Sotheby’s, 6 juillet 2016, n° 38, signé et daté de 1751 (toile, 57,8 x 94 cm), F. Arisi, Gian Paolo Panini e I fasti della Roma del'700, Rome, Ugo Bozzi editore, 1986, p. 442, n° 425
[2] Cette dénomination date de 1921. Elle va vers le Circus Maximus.
[3] Arisi, op. cit. p.346, n° 230
[4] Au château de Sanssouci à Postdam, acquis par le roi Frédéric III Arisi, op. cit. p.428, n° 396 et à la Walters Art Museum de Baltimore, Arisi, op. cit. p.420, n° 376 et 37