Importante étude militaire, qui sera reprise dans Le Fil de l’épée.
Cette étude, rédigée à la fin de 1924, a été publiée dans la Revue militaire française le 1er mars 1925 (p. 306-328). Elle sera remaniée en 1932, avec notamment quelques suppressions, pour former le chapitre « De la Doctrine » du Fil de l’épée.
L’étude est divisée en VI parties. Le manuscrit, à l’encre noire, présente quelques ratures et corrections. On relève d’importantes variantes avec le texte du Fil de l’épée.
« Les principes qui régissent l’emploi des moyens : économie des forces ; nécessité de procéder par concentration et, en conséquence, par phases ou bonds ; surprise pour l’ennemi ; sûreté pour soi-même, n’ont de valeur, – combien l’ont professé déjà !, – que par la façon dont ils sont adaptés aux circonstances. Cette constatation n’a, d’ailleurs, rien de spécifiquement militaire et domine tout ordre d’action, guerrière, politique, industrielle.
Apprécier les circonstances dans chaque cas particulier, tel est donc le rôle essentiel du chef. Du fait qu’il les connaît, qu’il les mesure, qu’il les exploite, il est vainqueur ; du fait qu’il les ignore, qu’il les juge mal, qu’il les néglige, il est vaincu. C’est sur des contingences qu’il faut construire l’action. Tel général, disposant d’une armée excellente et l’ayant minutieusement rangée en bataille, est battu parce qu’il n’est pas renseigné sur l’ennemi. Tel politique, ayant la volonté, la durée, disposant des ressources d’un grand pays et d’un solide système d’alliances, échoue parce, qu’il ne discerne pas le caractère de son temps. Tel industriel, puissamment outillé, se ruine pour avoir méconnu l’état du marché.
Il semble que l’esprit militaire français répugne à reconnaître à l’action de guerre le caractère essentiellement empirique qu’elle doit revêtir. Il s’efforce sans cesse de construire une doctrine qui lui permette, a priori, d’orienter tout au moins l’action et d’en concevoir la forme, sans tenir compte des circonstances qui devraient en être la base. Il tente perpétuellement de déduire la conception de constantes connues à l’avance, alors qu’il faut, pour chaque cas particulier, l’induire de faits contingents et variables »…
La partie II étudie la tactique au XVIIIe siècle, les guerres de la Révolution et de l’Empire, où les chefs surent s’adapter aux circonstances et les exploiter. Le désastre de 1870 s’explique par « l’arbitraire de la théorie » (III). Une nouvelle doctrine s’élabore, portée sur l’offensive (IV) : « Le colonel Pétain prétendait qu’on construisît d’après les circonstances la conception d’une manœuvre et que la concentration des moyens, notamment celle des feux, fût à la base de l’exécution. On préféra orienter l’action a priori vers l’offensive immédiate et irraisonnée par système ; on voulut faire du combat la ruée désordonnée vers l’avant. »
V « On connaît les conséquences tactiques qu’entraînèrent, lors des batailles des frontières, ces principes métaphysiques », au début de la guerre de 1914. « La victoire de la Marne vint couvrir d’une gloire magnifique le chef qui sut s’affranchir des théories construites dans l’abstraction et induire sa conception des circonstances dont son esprit embrassait l’ensemble »… De Gaulle détaille les différentes phases de la guerre, les succès venant de « l’inspiration d’un grand chef, affranchi des doctrines a priori »…
VI « De Gaulle conclut : « Ulysse, regagnant, après une longue guerre, Ithaque sa patrie, se fit attacher au mât du navire pour éviter de céder aux séductions des Sirènes et de rouler dans l’abime des mers. Ainsi le prudent Achéen put-il, après mille dangers, recouvrer son royaume et y jouir d’un glorieux repos. Puisque le moment est venu, où la pensée militaire française reconstitue la philosophie de ses doctrines, puisse- t-elle ne pas succomber à l’attrait séculaire de l’a priori, de l’absolu et du dogmatisme ! Puisse-t-elle, pour n’y point céder, s’attacher à l’ordre classique suivant d’illustres et récents exemples ! Elle y puisera ce goût du concret, ce don de la mesure, ce sens des réalités qui éclairent l’audace, inspirent la manœuvre et fécondent l’action. »
On joint : – le tapuscrit ([1]-27 p. in-4) avec quelques corrections, et additions autographes : l’épigraphe empruntée au maréchal Bugeaud, et la signature à la fin : « Capitaine de Gaulle 14 Square Desaix Paris (15e) », avec timbre à date 7 nov. 1924 ; – une note autographe d’Henri de Gaulle, faisant quelques remarques sur ce texte (1 p. ½ in-fol.) ; – une étude dactylographiée Observations sur une étude intitulée : « Doctrine a priori ou doctrine des circonstances » (4 p. in-4), 13 novembre 1924, annotée par de Gaulle au crayon : « Colonel laure à qui le Maréchal avait demandé de rédiger son avis sur l’étude ».