Lettres de l’officier blessé, écrites de l’hôpital, et analysant les débuts de la guerre.
Blessé le 15 août sur le pont de Dinant, il a été évacué et opéré à Paris, puis soigné à l’hôpital Desgenettes à Lyon. Il rejoindra l’armée au début d’octobre.
12 septembre. « Les jours s’écoulent ici bien lentement, illuminés quant aux derniers, par le ton de plus en plus satisfait des communiqués officiels. Il paraît certain, à présent, que la grande bataille recommencée sur la Marne et sur nouveaux frais va être une pure et simple victoire, revanche méritée de nos premiers échecs en Belgique. Ensuite il s’agira de gagner la belle et la question sera tranchée. Tous les officiers blessés qui remplissent Lyon et qui viennent de tous les points du champ de bataille sont d’accord sur les raisons profondes de nos échecs du début : partout des offensives trop rapides de la part de notre infanterie que l’artillerie n’avait pas le temps de soutenir et qui nous faisaient perdre un monde énorme ; insuffisance, depuis longtemps connue du reste, d’un trop grand nombre des généraux de division, ou de brigade qui ne savaient pas utiliser les différentes armes en liaison les unes avec les autres. Enfin, au point de vue stratégique, retard sensible de notre mobilisation sur la mobilisation allemande et surtout, retard grave des Anglais précisément au point décisif, à notre extrême gauche. Heureusement l’extrême sang-froid et la décision de notre haut commandement et la valeur incomparable de notre artillerie et de notre infanterie nous ont permis de rétablir les affaires et, maintenant, instruits par l’expérience, nous trouverons nécessairement le succès. Du reste, de l’avis général, les Allemands ont eux aussi bien souvent gaspillé leur infanterie et fait des pertes énormes pour des résultats médiocres : seulement, la chance les a servis au début – si tant est que la chance existe »… Il s’impatiente de la guérison de son pied : « On va me faire suivre un traitement à l’électricité pour rendre la vie au nerf abîmé »…
18 septembre. « Les jours s’écoulent ici bien monotones et bien tristes, et vraiment je commence à croire que mon pied va rester indéfiniment comme il est. On me fait subir depuis quatre jours un traitement par électricité et massages cela va bien bien lentement. […]
Après la bataille de l’Aisne qui, j’en suis persuadé, va se terminer à notre avantage, et quel que soit l’état de l’armée ennemie, je crois que la nôtre sera absolument obligée de suspendre quelques semaines ses opérations actives, car les pertes de l’infanterie sont maintenant fantastiques. Nous nous heurtons au très grave inconvénient de l’épuisement momentané. Après les efforts gigantesques de ces premières semaines de campagne il faudra, pour reprendre des opérations à grande envergure en pays ennemi, attendre que la classe 1914 et les engagés volontaires soient instruits et puissent remplir un peu nos régiments, et aussi reconstituer des cadres. Il faudra surtout durcir son cœur pour que les propositions de paix que l’ennemi ne manquera pas de nous faire soient rejetées d’une seule voix par l’opinion publique. Outre une loyauté élémentaire, c’est notre intérêt le mieux entendu qui nous oblige à ne pas déposer les armes avant d’avoir rejoint les troupes russes à travers l’Allemagne. Sinon, ce serait à recommencer dans dix ans »…
LNC, I, p. 89 et 91.