Lettres de guerre à sa femme, pendant les combats à la tête de ses chars, alors qu’il est promu général.
8 mai. « Ma chère petite femme chérie, […] Toujours rien de neuf par ici. J’y passe des jours qui seront, je pense, les derniers dans mon poste actuel. J’aurai à me trouver à Poissy (?) vers la fin de ce mois (entre le 20 et le 30 probablement). Mais d’ici là, j’aurai à faire une tournée à travers la France pour aller voir où en sont les éléments en formation. Je compte donc passer à Colombey le 13. L’issue de l’affaire de Norvège va créer, sans doute, des difficultés à Paul Reynaud, bien qu’il n’y soit pour rien, au contraire. On avait compté sur la flotte anglaise qui, au total, n’a pas fait grand-chose parce que les vieux messieurs de Londres (tel Chamberlain) ont empêché Churchill de risquer. Je crois, cependant, que P. R. s’en tirera »…
10 mai. « Voici donc la guerre, la véritable guerre, commencée. Je serais, cependant, assez surpris si les opérations actuelles de Hollande et de Belgique devaient constituer vraiment la grande bataille franco- allemande. Cela viendra, à mon avis, un peu plus tard. Je voudrais bien, en tout cas, que la 4e Division Cuirassée soit prête le plus tôt possible. En tout cas, il faut s’attendre à une activité croissante des aviations et, par conséquent, prendre des précautions ». Il recommande de faire très attention à Colombey : « Fais donc bien attention, de jour à rentrer et faire rentrer s’il y a alerte, et le soir à bien éteindre les lumières. […] Je te prends dans mes bras et t’embrasse de tout mon cœur qui t’aime »…
15 mai. « Me voici en pleine bagarre. Appelé hier d’extrême urgence pour constituer une Division. À ce point de vue, tout va bien. On m’a donné tout ce qu’on pouvait me donner. Nous verrons bientôt la suite. Les événements sont très sérieux. J’ai confiance que nous parviendrons à les dominer. Cependant, il faut s’attendre à tout. Rien de bien urgent, d’ailleurs, pour toi quoi qu’il arrive. Mais il faut te tenir au courant, si possible par le Général Bret, afin de n’être pas surprise, si jamais… »…
21 mai. « Je t’écris au sortir d’une longue et dure bagarre qui s’est, d’ailleurs, très bien déroulée pour moi. Ma Division se forme en combattant et l’on ne me refuse pas les moyens, car si l’atmosphère générale est mauvaise, elle est excellente pour ton mari.
Je ne sais où vont les événements. Cependant j’ai aujourd’hui une impression un tantinet meilleure que notre commandement commence à se ressaisir. Cependant sois prête à te replier si cela devenait nécessaire. […] Le jour de ta fête, j’étais en plein combat et ce combat – chose rare depuis le début de cette guerre – fut un combat heureux. Dans la pensée je t’ai envoyé mes vœux les plus tendres, Vonne »… Il donne son adresse : « Colonel de Gaulle Commandant la Division, Sect. 15.231 ».
24 mai. « Toujours la bagarre. Mais les choses, de mon côté, ne vont pas mal. J’ai comme l’impression que la surprise est surmontée et que nous allons vers le rétablissement. Mais que de plumes nous aurons laissées et laisserons encore ! Je suis Général depuis hier. Je l’ai appris par une lettre que Paul Reynaud, ministre de la Guerre, m’a fait porter en ligne et par laquelle il m’annonçait qu’il avait signé ma promotion sur proposition du Gal Weygand »…
24 mai. Sur une enveloppe, il note : « Rien de bien neuf, mais cela barde… Mille tendresses à ma petite femme chérie. C. »
27 mai. « Nous nous trouvons (la Division) pour le moment dans un répit relatif. Je pense beaucoup à toi et à nos enfants. […] Je t’ai écrit que j’étais promu Général depuis le 24 de ce mois ». Il recommande à sa femme de ne pas rester à la Boisserie : « Mais tu devrais tâcher d’y faire prendre ton argenterie, car les maisons non habitées risquent – je le vois – le pillage non pas tant des troupes que des réfugiés. »…
LNC, I, p. 928-933.