(Diminué dans le bas et sur le côté droit)
Portrait of Édouard Manet, pastel, by Félix Bracquemond
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Rétrospective Félix Bracquemond, Peintures, dessins, aquarelles, pastels, broderies, céramiques, objets d'art, gravures (210 numéros), Paris, Salon de la Société nationale des Beaux-Arts de 1907, étude par Léandre Vaillat, cat. n° 13: « Portrait de Manet (étude) ».
Peintures, pastels, aquarelles, dessins et gravures de Félix Bracquemond (95 numéros), Paris, Palais des Beaux-Arts, 20 mai-juin 1927, cat. n° 4: « Portrait de Manet (étude) ».
Frantz, Henri, « The work of Félix Bracquemond », The Studio, n° 136, juillet 1904, p. 93-103 (repr. p. 94).
Bouillon, Jean-Paul, « Manet vu par Bracquemond », La Revue de l’Art, n° 27, 1975, p. 37-45, repr. en couverture de la revue, p. 38 et 41.
Bouillon, Jean-Paul, « Les lettres de Manet à Bracquemond », Gazette des Beaux-Arts, mai-juin 1983, p. 145-158, repr. p. 147.
Bouillon, Jean-Paul (dir.), Manet to Bracquemond: Newly Discovered Letters to an Artist and Friend, Paris, Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, 2020, reproduit en couverture, p. I et 10.
Bouillon, Jean-Paul, « Manet, Astruc, Bracquemond and the "Jing-Lar' Japonisme in Paris In the Latter Half of 1860s », in cat. exp. Manet and Astruc, Friendship and inspiration (Brême, Kunsthalle Bremen, 23/10/2021 – 26/02/2022), repr. p. 86.
Tant par son sujet qu’au niveau technique, le portrait au pastel d’Édouard Manet que nous présentons constitue l’une des œuvres majeures du corpus de Félix Bracquemond, et vient enrichir en une pièce maitresse l’iconographie du maître de L’Olympia. Déjà en 1904, lorsqu’il se trouve publié pour la première fois par Henri Frantz dans la revue The Studio (fig. 1), le critique ne manque pas le décrire comme une œuvre « capitale ». S’il loue sa facture graphique, il nous apprend également que le portrait n’est revenu que récemment dans les mains de Bracquemond, après un parcours pour le moins surprenant : « Cette dernière œuvre, qui nous montre un Manet d'environ trente ans, les yeux profonds, les traits délicats encadrés d'une barbe blonde, a subi d'assez étranges vicissitudes. Son auteur l'avait même complètement perdue de vue, lorsque, il y a quelques mois, un collectionneur, ami de Bracquemond, vit cette œuvre dans une vente publique, l'acheta et l'offrit au maitre à l'occasion du jour de l'an1. ». Pour Jean-Paul Bouillon, qui en a publié la redécouverte en 1975, ces « quelques mois » nous ramènent au cours de l'année 1903, Bracquemond ayant repris possession de son pastel au premier janvier 1904, peut-être par l’intermédiaire du baron Vitta. Accompagné d’une reproduction de petit format en noir et blanc, l’article de Frantz révèle en outre que notre pastel a été partiellement réduit, en amputant le bouquet de fleurs à droite et en supprimant la partie inférieure, rendant quelque peu énigmatique ce qui reste du haut-de-forme de Manet, sommet et large bord du premier plan en bas à gauche. L'œuvre réapparait ensuite deux fois. Lors de l'importante rétrospective Bracquemond présentée au Salon de la Société nationale des beaux-arts en 1907 (cat. n° 13), avec le titre « Portrait de Manet (Étude) », et à nouveau en 1927, avec le même titre, lors de la rétrospective organisée en mai et juin au Palais des Beaux-Arts de la Ville de Paris (cat. n° 4). Deux photographies prises dans l’atelier de Bracquemond vers 1913 montrent, à côté d’autres œuvres nettement identifiables, le portrait de Manet dans son état original, au milieu de la pièce, posé sur un chevalet (fig. 2). Derrière Bracquemond, tenant à la main les cannes qui lui étaient alors nécessaires pour marcher, on aperçoit à droite le Manet (fig. 3), conforme à la photographie publiée par Frantz en 1904. Ce serait après la guerre, peu avant la rétrospective de Marie à la galerie Bernheim-Jeune, que le pastel aurait été modifié par son fils Pierre, qui jugeait sans doute préjudiciable le caractère trop esquissé de la partie inférieure2. Daté de 1864, notre portrait peut être directement rapproché des clichés de Carjat (fig. 4), mais aussi de L’Hommage à Delacroix, parfaitement contemporain, où en ami intime, Fantin associe étroitement Bracquemond à Manet (fig. 5). Les deux hommes se connaissent depuis 1861, ils ont partagé les cimaises de la Société des Aquafortistes en 1862, puis du Salon des refusés l’année suivante. Bracquemond réalise plusieurs gravures d’après les œuvres de Manet, et ce dernier grave à son tour un petit portrait de son condisciple (fig. 6). C’est sans aucun doute cette proximité qui explique en partie la qualité d’exécution de notre pastel qui frappe par l’intensité de l’expression, la présence magnétique du regard et du demi-sourire, semblant illustrer presque littéralement le témoignage qu’offrait en 1884 Edmond Bazire d’un Manet de trente ans qui « portait bien la tête, qu'une barbe blonde, très soignée, encadrait. Le teint était rosé, et le visage régulier s'égayait à la vivacité de ses yeux et au sourire quelque peu moqueur de ses lèvres3 ». Rigoureusement préparée par au moins deux dessins préparatoires (cf. n° 97 de notre vente), Bracquemond adopte pour son Manet une pose assez conventionnelle, mais se fait plus moderne dans le choix qu’il fait de décentrer son modèle vers la gauche, selon un cadrage plus « japonisant » que Degas expérimente également à la même période. A travers l’acharnement patient issu de sa formation de graveur, l’artiste parvient enfin à modeler minutieusement le visage de son ami par un crayon virtuose retranscrivant chaque carnation en minuscules pointillés. C’est cette technique singulière qui fait toute la spécificité de Bracquemond, et qui ne manqua pas d’éblouir jusqu’à Manet lui-même : « [Je] pensais vous faire des compliments sur votre portrait. […] la tête est très bien en somme et vous fera grand honneur4. »
1. Frantz, Henri, « The work of Félix Bracquemond », The Studio, n° 136, juillet 1904, p. 93-103.
2. Signalons que les deux morceaux manquants sont aujourd’hui encore conservés en main privée, ils ont été récemment publiés par Jean-Paul Bouillon, qui a reconstitué digitalement notre pastel : Bouillon 2020, p. 9-10.
3. Bazire, Edmond, Manet, Quantin, 1884, p. 24.
4. Lettre d’Édouard Manet à Félix Bracquemond, circa 1864, in Bouillon 1983, p. 148.
Fig. 1: Frantz, Henri, « The work of Félix Bracquemond », The Studio, n° 136, juillet 1904, p. 94.
Fig. 2 : Anonyme, Vue de l’atelier de Félix Bracquemond, circa 1913, tirage sur papier albuminé, coll. part.
Fig. 3 : Anonyme, Félix Bracquemond dans son atelier, circa 1913, tirage sur papier albuminé, coll. part.
Fig. 4 : Etienne Carjat, Portrait de Manet, tirage sur papier albuminé, vers 1864, BNF.
Fig. 5 : Henri Fantin-Latour, Hommage à Delacroix, détail : Manet et Bracquemond, 1864, huile sur toile, Paris, musée d’Orsay.
Fig. 6 : Édouard Manet, Portrait de Félix Bracquemond, 1865, aquatinte (17,2 x 11,3 cm), British Museum, Londres.