(Soulèvements et restaurations anciennes)
The Fountain of Life, oak panel, Provencal School, early 16th C.
10.24 x 6.69 in.
Dans l'occident chrétien, cette évocation de la « fontaine de vie » initialement eau, source de vie éternelle, régénératrice, devient progressivement associée à la Passion du Christ, l'eau étant remplacée par le sang du Rédempteur. L'iconographie singulière de cette image de dévotion vénérée aux XVe et XVIe siècles, illustre les nombreux hymnes liturgiques associés au culte du Saint Sang invitant le pécheur à se purifier dans cette Fontaine.1 A la fin du XVe siècle, la formule adoptée dans notre panneau en présence des deux saintes femmes repenties, se répand non seulement en Provence, région où ces dernières sont particulièrement vénérées, comme en témoigne l'exemple du Musée Calvet à Avignon2, mais également dans toute la France3 . Quant à la croix posée à terre, si l'on peut supposer qu'il s'agit de l'attribut de saint Antoine abbé, le pénitent pourrait peut-être représenter un membre de l'ordre hospitalier des antonins, qui, dévêtu, s'apprête à plonger dans la vasque purificatrice.
En lettres classiques peintes en noir sur la margelle de la cuve supérieure : FONS VITAE (Fontaine de vie). Sur la margelle de la cuve inférieure : FONS. Devant un mur vu à mi-hauteur, dominé à l'arrière-plan par un paysage campagnard et montagneux agrémenté d'arbres et de constructions, la croix du Christ crucifié se détache au centre de la composition. Au premier plan, cette croix forme le pilier central d'une fontaine formée de deux bassins superposés, aux bords octogonaux infléchis, remplis du sang du Christ s'échappant de ses plaies. De chaque côté de cette fontaine, sainte Madeleine à gauche et sainte Marie l'Egyptienne à droite, identifiées grâce à leurs attributs respectifs (le pot d'onguents et les trois pains) se tiennent debout sur le double piédestal de la fontaine. Entre les deux saintes, un pénitent, homme au torse nu, barbu, cheveux mi-longs frangés, est agenouillé, la croix en forme de tau posée à terre près de lui. Tous tendent leurs mains vers le jet de sang s'écoulant de la vasque supérieure par les mascarons représentant les symboles des évangélistes. La composition plaçant la scène principale, fortement éclairée, au premier plan d'un lointain paysage lumineux à la perspective atmosphérique, est une marque de l'école méditerranéenne, tout comme la sérénité des attitudes des saintes femmes, la douceur mélancolique de leur regard. Cependant le modelé apaisé des formes remplace ici le caractère graphique, ciselé, des personnages provençaux du XVe siècle et le réalisme du pénitent, les plis tourmentés de son pagne ainsi que la menuiserie élaborée du cadre4 ont encore un relent d'influence nordique. Comme de nombreux artistes travaillant en Provence au XVe siècle, tel Enguerrand Quarton ou Nicolas Froment avant lui, l'auteur de cette Fons vitae était-il sans doute originaire du Nord.
Il dut cependant exécuter cette dernière œuvre en Provence vers 1515-1520, si l'on en juge par la mode vestimentaire de sainte Madeleine dont le décolleté carré de la robe laisse paraître une chemise de linon blanc fermée au ras du cou et dont les manches à crevés rappellent la mode du règne de François Ier et qu'illustre également la gravure de Lucas de Leyde (1494-1533) représentant La Femme au rouet, conservée au musée du Louvre (3276LR).
Nous retrouvons le même vêtement porté par l'une des saintes femmes à droite de La Déploration sur le corps du Christ de l'école niçoise, signée par Antoine Aundi (connu entre 1513 et 1539) et conservée dans la chapelle Saint-Bernardin à Antibes. Quant à la coiffure
du pénitent, elle témoigne également de la mode de ce temps, comme l'atteste le saint Jacques du retable de Puget- Theniers (Alpes Maritîmes) d'Antoine Ronzen daté de 1525.
1. « Jésus laisse couler son sang jusqu'à la dernière goutte. Qu'ils viennent donc tous ceux que souille le péché,
celui qui se lavera dans ce bain sera purifié » Hymne du Bréviaire Romain, cf. E. Mâle, L'Art religieux à la fin du
Moyen-Age, Paris, 1995, p. 112-115.
2. Cf. M.Laclotte, D.Thiebaut, L'Ecole d'Avignon, Tours, 1983, cat. 62. Peintre provençal vers 1460. Dans cette
dernière oeuvre, le texte inscrit au-dessus de la Madeleine invite le pêcheur à demander, par le repentir,
la rémission de ses péchés : « O vous pecheurs querans avoir pardon de vos pechiez, vecy la vraie fontaine /
Delaquelle sort grace a grant abandon ou chescun peut laver sa coulpe vaine / Comme jay fait moy Marie
Magdeleine questoit souillé de pechiez lais et ors / Nette en suis de tous poins sauve et saine, venez y donc et croyes mes retors »
E. Mâle (op.cit. p. 112 , n.9) rappelle que l'on conservait dans la basilique de Saint Maximin la sainte Baume,
quelques gouttes du sang du Christ, relique insigne, soit disant apportées par sainte Madeleine lors de son
débarquement en Provence.
3. E. Mâle (op.cit. p. 112 et fig. 61) signale la fresque de l'église Saint Mexme à Chinon vers 1480, mais aussi le
vitrail de l'église Saint Etienne de Beauvais, ainsi que d'autres exemples à Vendôme et au château de Dissais
dans la Vienne. Dans les formules modifiées en « Bain mystique » tel le panneau flamand du XVIe ou le triptyque
de Jean Bellegambe vers 1525 (Palais des Beaux-Arts de Lille, inv. P859 et P832) les saintes Madeleine et Marie l'Egyptienne se
tiennent soit, de part et d'autre de la vasque où baigne le Christ, soit sont immergées avec d'autres
personnages.
4. Cette menuiserie rappelle celle du retable de la Résurrection de Lazare de Nicolas Froment (Londres National
Gallery).