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Née à Grasse en 1761 d'un père parfumeur, Marguerite Gérard rejoint son beau-frère le peintre Jean-Honoré Fragonard à Paris en 1775 et partage son atelier au Louvre tout en étant son élève, son assistante, puis sa collaboratrice. De nombreuses œuvres communes vont alors faire l'objet de commandes par l'élite intellectuelle parisienne, soucieuse de se faire représenter dans un cadre intime et galant, mettant en avant les occupations intellectuelles ou divertissantes qui sont les siennes.
Par ses portraits et l'édition de nombreuses estampes, ainsi que par le soutien de marchands d'art comme Jean Dubois et Goury de Champgrand, elle développe une clientèle importante, sans même avoir rejoint l'Académie et n'exposant ses peintures au Salon qu'à partir de 1799. Voyant la gloire désormais passée de Fragonard à la fin des années 1780, la jeune Marguerite s'émancipe de plus en plus, s'éloignant de la touche vaporeuse du maître pour développer une peinture fine et précise, héritière des artistes de l'Age d'or hollandais comme Gabriel Metsu, Pieter de Hooch ou encore Gerard ter Borch (fig. 1).
Sous l'Empire, et en période de conflits fréquents, la plupart des peintres de genre traitent du thème du départ ou du retour des militaires, représentation souvent romancée des commanditaires. Marguerite Gérard évite les scènes poignantes de séparations ou d'embrassades, préférant s'intéresser à la figure de l'attente, matérialisée le plus souvent par des lettres.
Si notre tableau, présenté au Salon de 1808, quelques mois après la victoire d'Eylau, propose avec la mappemonde une résonnance historique et géographique, il n'offre cependant pas une image de son époque de création, comme en attestent par exemple les tenues anachroniques, comme celle du père de la jeune fille, qui porte un vêtement hollandais du XVIIe siècle.
L'œuvre nous plonge dans une scène domestique et confidentielle fréquente chez l'artiste, où la jeune fille découvre la lettre envoyée par son époux parti au combat, aux côtés de son père et entourée de ses animaux, symboles de fidélité. La composition, rigoureuse et épurée, met en lumière la mappemonde et la jeune fille lisant, abandonnant la richesse des scènes galantes du XVIIIe siècle pour un style sobre, l'émotion laissant désormais place à la connaissance et à la raison. Ainsi Marguerite Gérard parvient à conjuguer ici, dans une scène de genre anecdotique, les vertus morales de la fidélité et de la famille comme élément structurant de la société sous le Premier Empire.