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EUGENE GUILLAUME ET HECTOR LEFUEL
Rares sont les artistes qui ont connu autant de distinctions et d'honneurs dans leur vie que le sculpteur EugĆØne Guillaume : Prix de Rome en 1845, chevalier de la LĆ©gion d'honneur en 1855, Membre de l'Institut en 1862, professeur puis directeur de l'Ćcole des Beaux-Arts en 1863 et 1865, nommĆ© directeur de l'AcadĆ©mie des Beaux-Arts en 1878-79, directeur de l'AcadĆ©mie nationale de France Ć Rome de 1891 Ć 1904, professeur d'esthĆ©tique au CollĆØge de France en 1882, enfin Ć©lu au siĆØge du duc d'Aumale Ć l'AcadĆ©mie franƧaise en 1898. Ce palmarĆØs vertigineux met en lumiĆØre son investissement sans faille dans le monde de l'art. Critique d'art et penseur, il Ć©tablit publiquement des positions esthĆ©tiques et thĆ©oriques pour la sculpture par l'intermĆ©diaire de nombreuses publications. Il est tout aussi investi dans le dĆ©veloppement de l'enseignement du dessin. Il reƧoit des missions institutionnelles en Ć©tant membre de la commission de l'Instruction publique, puis inspecteur gĆ©nĆ©ral de l'enseignement du dessin ; enfin il est Ć©galement membre du Jury des Salons de 1863 Ć 1890 (voir la valise comprenant un certain nombre des ouvrages publiĆ©s d'EugĆØne Guillaume et son sceau (lot 21)).
Ces missions et distinctions sont aussi plĆ©thoriques que sa carriĆØre de sculpteur et il s'agit bien lĆ d'un tour de force que d'avoir su mener de front une carriĆØre officielle aussi remplie et un travail de crĆ©ation aussi foisonnant.
Le journaliste Henry Jouin loue d'ailleurs EugĆØne Guillaume, premier sculpteur Ć ĆŖtre Ć©lu Ć l'AcadĆ©mie franƧaise en ces termes en 1898 :
" Il nous plait de rencontrer un homme en mesure de tenir la plume ou le ciseau avec une Ʃgale sƻretƩ sachant se mouvoir en libertƩ dans les rƩgions de l'esthƩtique la plus ƩlevƩe1 "
Cet ensemble d'Åuvres conservĆ© prĆ©cieusement par la famille Lefuel apparentĆ©e Ć l'artiste et prĆ©sentĆ© aujourd'hui offre un large Ć©clairage sur les thĆØmes qui ont fait la rĆ©putation de ce sculpteur au parcours exemplaire :
NĆ© Ć Montbard et formĆ© Ć l'Ć©cole de dessin de Dijon avant de rejoindre Paris en 1841 Ć l'Ć¢ge de 19 ans, EugĆØne Guillaume commence sa formation Ć l'Ćcole des Beaux-Arts dans l'atelier du cĆ©lĆØbre James Pradier : le portrait en plĆ¢tre (lot 5) rĆ©alisĆ© avec une grande sensibilitĆ© par son maĆ®tre donne l'image d'un jeune provincial aux allures romantiques, tel un Rastignac qui n'attend que l'opportunitĆ© de faire Ć©clore son talent et d'accĆ©der au succĆØs. Talent et succĆØs trouvent rapidement leur concrĆ©tisation. Le portrait de profil en mĆ©daillon (lot 28) rĆ©alisĆ© en 1857 par son camarade de classe Ć Rome Gabriel Jules Thomas le prĆ©sente dans cette posture acadĆ©mique que l'on retrouve ensuite, Ć la fin de sa vie dans le magnifique portrait peint de Paul Baudry (lot 7) et son buste posthume par Hippolyte LefĆØbvre (lot 22).
Sous l'influence et la direction de Pradier dont l'enseignement se dƩfinit par une admiration absolue de la sculpture grecque, il fait sien l'art classique qui ne l'a plus jamais quittƩ.
EncouragĆ© par son maĆ®tre, il remporte donc le prix de Rome de 1845 avec son Åuvre ThĆ©sĆ©e trouvant sur un rocher l'Ć©pĆ©e de son pĆØre. Son sĆ©jour dans la CitĆ© Ć©ternelle conforte son amour profond de l'art antique et des principes acadĆ©miques qui se rĆ©vĆØle dans la trĆØs jolie suite du MnĆ©symaque (lots 24,25 et 26), DanaĆ© (lot 1), Diane et Endymion (lot 3), l'ensemble de six esquisses en terre crue (lot 23), enfin le Lion d'aprĆØs la Loggia dei Lanzi de Florence (lot 12).
Ć son premier Salon en 1852, il envoie son ultime travail de cinquiĆØme et derniĆØre annĆ©e de la Villa MĆ©dicis, une figure assise en marbre d'AnacrĆ©on qui connait un beau succĆØs : " Il y a dans son bagage une statue qui est tout Ć fait grecque d'inspiration, de rythme, j'allais dire de chant, tant elle a l'air de scander et de parler les vers que la Muse met sur ses lĆØvres : c'est l'AnacrĆ©on2 ". Elle est suivie, comme en tĆ©moigne ici le bronze (lot 6), d'une Ć©dition en trois formats par Delafontaine (1774-1860).
De retour en France, il devient sous le Second Empire et la TroisiĆØme RĆ©publique un artiste incontournable dans les commandes publiques.
Il se spĆ©cialise dans la rĆ©alisation de monuments en hommage aux Grands hommes sur l'ensemble du territoire franƧais, comme en tĆ©moigne la rĆ©duction en bronze du Monument de Philippe Girard (lot 20), inventeur de la filature mĆ©canique du lin, Ć©rigĆ© en 1882 en Avignon. PassionnĆ© par la figure de NapolĆ©on, il exĆ©cute Ć la demande du prince NapolĆ©on un important cycle " napolĆ©onien ". Outre l'imposante sculpture en marbre reprĆ©sentant NapolĆ©on Ier lĆ©gislateur (disparu dans l'incendie du palais des Tuileries en 1871), une sĆ©rie de bustes de NapolĆ©on Ć diffĆ©rentes Ć©tapes de sa vie est commandĆ©e Ć l'artiste : Ć©lĆØve Ć Brienne, gĆ©nĆ©ral en chef de l'ArmĆ©e d'Italie, Premier Consul, Empereur, en 1812, Ć Sainte-HĆ©lĆØne (les plĆ¢tres sont au chĆ¢teau de Malmaison, les marbres Ć Prangins et Ć Arenenberg). Un Bonaparte en pied en lieutenant d'artillerie (lot 11) clĆ“t le cycle en 1870. Une esquisse en cire d'une statue Ć©questre de NapolĆ©on Ier Ć cheval en tenue militaire (lot 2, finalement non exĆ©cutĆ©e) prĆ©vue pour la cour NapolĆ©on du Louvre est Ć©galement prĆ©sentĆ©e, s'ajoutant Ć un corpus de plusieurs travaux prĆ©paratoires de 1862. Ce travail occupe tout entier l'artiste au point qu'il lui permet d'inscrire son Åuvre dans une dimension plus Ć©largie de l'histoire de l'art : " Du point de vue de l'art on peut faire observer que la part de la vĆ©ritĆ© matĆ©rielle est trop forte et qu'un ouvrage destinĆ© Ć durer a besoin d'ĆŖtre plus dĆ©pouillĆ© et prĆ©sente dans des conditions propres Ć tous les temps. Les exigences de l'art doivent-elles cĆ©der Ć celles de l'histoire telle que nous l'entendons aujourd'hui ?3 "
Il excelle dans la rĆ©alisation de portraits dans le cadre de ces commandes officielles mais aussi dans le cadre privĆ© : auprĆØs des bustes d'anonymes en bronze ou terre cuite qui lui sont attribuĆ©s Portrait de jeune femme (lot 9) et portraits d'homme en plĆ¢tre patinĆ© (lot 17) et plĆ¢tre patinĆ© faƧon bronze (lot 8)) se distinguent le portrait prĆ©sumĆ© de sa fille ThĆ©rĆØse (1857-1949) (lot 18), prĆ©sentĆ©e voilĆ©e comme une jeune romaine ou encore le buste en bronze plein de distinction de l'architecte historiciste Hector Lefuel (1810-1880) (lot 10).
La rencontre d'EugĆØne Guillaume avec Hector Lefuel - laurĆ©at du prix de Rome en 1839, pensionnaire de la Villa MĆ©dicis les annĆ©es prĆ©cĆ©dant l'arrivĆ© du sculpteur, directeur des travaux de Meudon, de la Manufacture de SĆØvres et du chĆ¢teau de Fontainebleau, membre de l'Institut constitue non seulement un jalon important dans sa carriĆØre mais aussi dans la connaissance et la conservation des Åuvres de l'artiste. D'un point de vue professionnel, Lefuel introduit EugĆØne Guillaume en 1857 sur le chantier menĆ© par NapolĆ©on III d'agrandissement et d'amĆ©nagement de l'ensemble " Louvre Tuileries ".
Du point de vue privĆ©, cette relation avec Hector Lefuel se conclut par le mariage en 1878 entre ThĆ©rĆØse Guillaume, fille d'EugĆØne et Henri Lefuel, fils d'Hector. L'alliance de ces deux familles est la raison pour laquelle les descendants Lefuel ont conservĆ© conjointement le fonds d'atelier d'EugĆØne Guillaume et des Åuvres associĆ©es Ć la grande figure de l'architecte. Trois portraits de Lefuel rĆ©alisĆ©s par des sculpteurs diffĆ©rents tĆ©moignent de la relation du maĆ®tre d'Åuvre et des artistes qui obtenaient des commandes sur les grands chantiers officiels, ici celui de la rĆ©union des Tuileries au Louvre grĆ¢ce Ć ses recommandation et protection. Outre le buste en bronze reprĆ©sentant l'homme en costume de ville rĆ©alisĆ© par EugĆØne Guillaume, la famille conservait encore le buste sans accoutrement exĆ©cutĆ© par le sculpteur Francisque Duret (lot 4). Alexandre Oliva offre quant Ć lui un modĆØle drapĆ© Ć l'antique, dont on prĆ©sente ici trois exemplaires (lots 13, 14 et 15).
1. Henry Jouin, " Un sculpteur Ć©crivain, M. EugĆØne Guillaume ", in La Nouvelle Revue, livraison du 15 septembre 1898, 20eme annĆ©e, t. CXIV, Paris administration et rĆ©daction, pp.269-275.
2. J. Buisson, " Le salon de 1881, 3e article, la Sculpture ", in 'Gazette des Beaux-Arts', 1881, t.2, p.210-238, p.212.
3. Fond d'archives d'EugĆØne Guillaume, liasse 201, chemise 2/3, note jointe aux esquisses de la statue Ć©questre de NapolĆ©on par EugĆØne Guillaume (L202-68).
Archives :
Fonds EugĆØne Guillaume conservĆ© au MusĆ©e d'Orsay, Paris.
LittƩrature en rapport :
T. Veron, " EugĆØne Guillaume ", in 'De l'Art. et des artistes de mon temps, Salon de 1877', Poitiers, 1877
J. Buisson, " Le salon de 1881, 3e article, la Sculpture ", in 'Gazette des Beaux-Arts', 1881.2 p.210-238, p.212 H. Marguy, 'EugĆØne Guillaume', Montargis, impr. de E. Laurent, 1911
S. Lami, 'Dictionnaire des sculpteurs de l'Ćcole franƧaise au XIXe siĆØcle', t. III, 1919, p.112 et suiv.
F. Heilbrun, G.Bresc-Bautier, 'Le Photographe et l'architecte : Ćdouard Baldus, Hector-Martin Lefuel et le chantier du nouveau Louvre de NapolĆ©on III', collection Dossiers du MusĆ©e du Louvre / Dossier du DĆ©partement des sculptures, no 47, Paris, RMN, 1995 J. Tulard,' Dictionnaire du Second Empire', Paris, Fayard, 1995, p.607
C. Chevillot, " La troisiĆØme RĆ©publique ", in C. Barbillon, C. Chevillot, G. Bresc-Bautier (sous dir.), 'Sculptures du XVIIĆØme au XXĆØme siĆØcle : MusĆ©e des Beaux-arts de Lyon', Paris, Somogy Ć©ditions d'art, Lyon, MusĆ©e des beaux-arts de Lyon, 2017, p.256
A. Pingeot, " Les artistes franƧais Ć Rome ", dans 'Maesta di Roma: da Napoleone all'unitĆ d'Italia, da Ingres a Degas', cat. exp., Rome, Villa Medici, 7 mars-29 juin 2003, Milan, Electa, 2003, p. 475-476.