Comment:
En 1816, Delacroix fait la connaissance de Charles Soulier (1792-1866), par l'intermédiaire de leur ami commun Horace Raisson. Soulier vit dans une soupente de la place Vendôme. Il a appris l'aquarelle auprès de Copley Fielding en Angleterre et initie le jeune Eugène à cette technique. Les deux jeunes artistes mettent en couleur des dessins d'ingénierie mécanique pour gagner quelques sous. Eugène Delacroix réalise un portrait en pied de son ami (perdu), ainsi qu'un buste au lavis. Delacroix restera proche de Soulier tout au long de sa vie, comme ce dernier le rapportera à Burty : " Notre amitié, malgré nos séparations répétées, ne s'est point altérée. (…) Nous nous retrouvions toujours, et cela a duré tant que mon cher, bien cher ami, a vécu1.". Delacroix lui lèguera le portrait inachevé resté dans son atelier2 ainsi qu'une somme d'argent.
Delacroix avait coutume de dessiner chez ses amis par délassement lorsqu'ils se retrouvaient. Robaut rapporte dans son catalogue raisonné publié en 1885 que cette aquarelle fut improvisée un soir chez Soulier. Il s'agit donc d'une aquarelle réalisée peu après son retour du Maroc, dans une évocation pour son ami de ces hommes fiers qu'il comparait aux Romains de l'Antiquité. La figure allongée à même le sol, nus pieds, s'accommode sans broncher de son lit de pierres, dans une resplendissante tunique blanche au liseré d'un bleu cobalt. Dans le fond, un cavalier précédé d'un compagnon à pied, passe lentement. Ici, semble nous indiquer silencieusement ce philosophe, tout passe mais rien ne change.
On peut rapprocher cette aquarelle par son esprit de la composition des Arabes d'Oran datée de 1837, qui répète un tableau de 18343, quoique dans une tonalité plus terne. On retrouve cet esprit de fatalisme impassible, ici si lumineusement éclairé par les réserves de blanc de la tunique et les carnations rougeoyantes. Le dessin, plus posé que dans les aquarelles réalisées pendant le voyage au Maroc, s'aiguise dans les accents précis et anguleux, qui sculptent les chairs. Delacroix nous livre là une leçon méditée d'orientalisme.
1. 'Correspondance générale d'Eugène Delacroix', vol. 1, Paris, 1935, p. 38.
2. A. Robaut, 'op. cit.', p. 34, n° 105.
3. Voir A. Brejon de Lavergnée et J.-P.Cuzin, 'Delacroix, le voyage au Maroc', cat. exp. Paris, Institut du Monde Arabe, 1994-95, n°70, repr.