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Selon Alfred Robaut, c'est lors de son séjour dans le nord de la France en 1871 que Jean-Baptiste Camille Corot réalise notre merveilleux tableau. Ce dernier nous offre une vue ensoleillée du moulin Drocourt sur la Sensée à Arleux-du-Nord, dans une composition qui frappe dès les premiers regards par la perfection de sa construction. Evidemment, Corot fut cet immense peintre de paysages, grand promoteur de la peinture sur le motif, posant son chevalet au gré de ses promenades et de ses envies afin de rendre compte de la beauté de la nature. Mais en 1871, soit quelques années avant sa disparition, il a atteint depuis déjà au moins vingt ans un succès phénoménal qui lui permet de vivre largement - et généreusement - de son art, et ainsi d'atteindre un degré de liberté inégalé dans la touche et le rendu.
Notre tableau s'inscrit dans un contexte nébuleux pour la peinture française. En 1871, au lendemain de la chute du Second Empire, le monde de l'art est particulièrement chamboulé par l'arrivée sur le devant de la scène de jeunes artistes aux positions aussi désinvoltes que leur pinceau, qui remettent en question les théories traditionnelles de la peinture alors encore communément admises. L'Impressionnisme n'est pas officiellement né, mais il existe déjà . Les scandales perpétrés au Salon par Edouard Manet constituent les premières lourdes secousses qui feront finalement s'effondrer les digues de l'académisme chez une grande partie de la nouvelle génération de peintres, pour une inondation définitivement actée lors de la première exposition de 1874.
Corot s'est toujours tenu éloigné de ces considérations artistico-politiques, profitant de son statut d'électron-libre, et prêchant à qui voulait l'entendre son allégeance aux grands maîtres du paysage classique, Poussin et Valenciennes. Néanmoins, son héritage constitua malgré lui une inspiration créatrice pour la nouvelle génération qui voyait en lui et Boudin les pères de l'Impressionnisme. Sa prédilection pour le travail en plein air et les paysages saisis sur le vif ainsi que ses recherches autonomes et radicalement nouvelles sur la lumière sont autant de modernités qui inspirèrent aux Monet, Renoir, Pissarro et à leurs acolytes les fondements de leur art.
Il nous semble intéressant ainsi de lire les œuvres de la fin de vie de Corot comme des réponses à ces premières toiles impressionnistes. Le style est assuré avec une matière très légère plutôt nouvelle chez lui alors que la palette nous semble être un retour aux œuvres des années 1830, racines solides de son succès. L'architecture de la composition est admirable. Alors qu'un ciel nerveux couvre le tiers supérieur gauche, l'anecdote campagnarde trône sur le reste de la toile. Une figure à peine suggérée en quelques petits coups de pinceau semble se diriger vers le moulin, tandis qu'un couple assis le long du petit chemin tourne le dos à la rivière où canards et cannetons coulent des jours heureux. Les reflets apposés sur le cours d'eau sont absolument virtuoses, Corot se servant habilement, par la composante très liquide de sa matière et par un délicat traitement en réserve, de la préparation blanche de la toile. De petites touches presque pointillistes mettant en relief les végétations et accents de lumière viennent agrémenter une œuvre éminemment silencieuse et poétique, assurément l'un des chefs-d'œuvre de la dernière manière de Corot.