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Héroïne de l'Ancien Testament, Esther occupa une grande place dans l'œuvre de Jean-François de Troy qui employa à de multiples reprises son pinceau à illustrer sa vie. Parmi les épisodes retenus par l'artiste, nous retrouvons dans ce que nous connaissons de son œuvre cinq tableaux consacrés au thème de l'Evanouissement d'Esther : un premier daté par Christophe Leribault vers 1698, un tableau ayant appartenu au prince de Conti, celui que nous présentons daté de 1714, une huile sur toile plus monumentale datant des années 1730 et le grand carton de tapisserie, premier de la série de l'Histoire d'Esther peint à Paris et exposé au Salon de 17371.
Relatant l'histoire de la jeune et belle orpheline juive Esther - devenue reine de Perse - et de son oncle Mardochée et comment ceux-ci déjouèrent les plans du vizir Aman, favori du roi Assuérus, qui avait manœuvré pour obtenir la mort de tous les Juifs exilés en Perse, le Livre d'Esther propose un récit riche en narration, en personnages et en descriptions, propre à inspirer les artistes. Plusieurs versions du texte nous sont parvenues, avec des additions dans lesquelles se trouve, au chapitre XV (complétant le plus laconique chapitre V), la scène de l'évanouissement représentée ici par Jean-François de Troy avec une grande fidélité.
Le récit se déroule à Suse, à la cour du roi Assuérus qui, après avoir répudié sa première épouse, a faite reine la ravissante Esther, jeune juive adoptée par son oncle Mardochée déporté de Jérusalem sous Nabuchodonosor. Mardochée s'est attiré la fureur du favori du roi Aman, en refusant de s'agenouiller devant lui, faisant naitre chez celui-ci le désir de le tuer ainsi que tous les Juifs de l'empire perse, désir qu'il parvient à défendre devant Assuérus qui lui accorde de disposer de ces derniers comme il l'entend. Ayant appris cela, Mardochée demande à Esther d'intervenir auprès de son époux Assuérus pour empêcher le massacre. Celle-ci accepte, non sans crainte car la mort était donnée à quiconque se présentait devant Assuérus sans y avoir été invité. Bravant l'interdit, Esther se pare " de ses plus riches ornements " et se fait accompagner de " deux de ses filles de chambre ". " … elle se présenta devant le roi au lieu où il était assis sur son trône avec une magnificence royale, étant tout brillant d'or et de pierres précieuses ; et il était terrible à voir. Aussitôt qu'il eut levé la tête et qu'il l'eut aperçue, la fureur dont il était saisi paraissant dans ses yeux étincelants, la reine tomba comme évanouie ; la couleur de son teint se changeant en pâleur, elle laissa tomber sa tête sur la fille qui la soutenait. En même temps, Dieu changea le cœur du roi, et il lui inspira de la douceur. (…)Et voyant qu'elle demeurait toujours dans le silence, il prit son sceptre d'or, et le lui ayant mis sur le cou, il la baisa et lui dit : Pourquoi ne me parlez-vous point ? Esther lui répondit : Seigneur, vous m'avez paru comme un ange de Dieu, et mon cœur a été troublé par la crainte de votre gloire. "
De nombreux détails du récit sont ici donnés par Jean-François de Troy sur cette toile d'une grande qualité et dans un bel état de conservation. Datée de 1714, elle fut réalisée par le peintre quelques années après son séjour en Italie, à une période où il collaborait encore avec son père, le portraitiste François de Troy. De son apprentissage auprès de celui-ci témoignent la richesse du mobilier et des merveilleuses étoffes représentées ici, ainsi que la précision de leur rendu, de la brillance des ors à de la douceur des velours en passant par la transparence des voiles. On ne sera pas surpris que notre tableau ait séduit le grand couturier Karl Lagerfeld qui en fit l'acquisition pour sa collection. Le coloris éclatant n'est quant à lui pas sans rappeler le récent séjour vénitien du peintre. Celui-ci commençait également à développer sa manière propre de peintre d'histoire, avec une grande intelligence dans la narration et le placement des figures, laissant augurer l'importante et brillante carrière qui se présentait devant lui.
1. Chr. Leribault, op.cit., cat. P. 3, P. 25, P. 41, P. 186 et P. 254