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Ce séduisant tableau illustre la reddition de Douai, l'entrée solennelle du roi et de la famille royale mais aussi - dans un but de propagande - l'un des moments forts de la guerre de Dévolution (1667-1668), première des grandes guerres du jeune souverain. Comme son nom l'indique, cette guerre a pour cause les prétentions respectives de Louis XIV et de l'empereur Léopold Ier concernant la dévolution successorale de leur beau-père commun, le roi d'Espagne Philippe IV. Une campagne d'été est lancée par le roi de France vers les Pays-Bas espagnols en mai 1667 : Charleroi, Ath, Tournai et enfin Douai le 7 juillet tombent en un mois.
Merveilleusement entouré par les grands artistes que sont Charles Le Brun et Adam Frans van der Meulen, le roi décide d'un programme iconographique célébrant cette campagne militaire et retient pour cela le support de la tapisserie. Parmi les nombreux sujets choisis pour la tenture de 'l'Histoire du Roy', cinq se rapportent à des événements de la guerre de Dévolution. Après le siège de Tournai, le second épisode représenté est celui du siège de Douai qui eut lieu le 4 juillet 1667. Dans son 'Mémoire', Van der Meulen cite l'esquisse qui nous concerne : " Plus l'entrée de la Reine devant la porte de Douay, pour le même sujet ", c'est-à-dire pour la tapissserie1. Il y eu donc deux sujets retenus pour Douai : la prise de la ville mais aussi l'entrée solennelle du 23 août, pour laquelle un dessin de Le Brun et van der Meulen est conservé à Versailles (fig. 1, inv. DESS 227).
L'entrée de la famille royale a lieu à la fin de l'été et non directement après la prise de la ville. Fin stratège, Louis XIV souhaitait recueillir les fruits d'une attention particulière accordée aux villes nouvellement prises en leur faisant l'honneur d'entrées solennelles murement réfléchies. La scène représentée sur notre tableau est un événement hautement politique de la part du jeune souverain qui, pour revendiquer des provinces espagnoles, y organise un honneur offert à cette ville, en la personne de la reine de France Marie-Thérèse d'Espagne, fille de leur ancien maître Philippe IV !
Au centre de la composition se situant devant la porte d'Arras avec au fond le beffroi et la tour de l'église Saint-Pierre, la reine entourée de ses dames de cour se voit remettre les clefs de la ville par les notables à genoux. A gauche le roi s'entretient avec Monsieur, son frère. Plus à gauche l'on reconnait les traits virils de Turenne, maréchal aux succès légendaires. De dimensions identiques à l'esquisse conservée au château de Versailles2, la nôtre se distingue à la fois par son très bel état de conservation mais aussi par la représentation de Turenne parfaitement identifiable. Si l'esquisse de Versailles offre au roi des traits plus juvéniles, son état d'usure général empêche en revanche une bonne lisibilité des traits de nombreux personnages et en premier lieu ceux de la reine et de ses dames de cour. La tapisserie de cet épisode n'ayant jamais été tissée - sans doute car Colbert jugea qu'elle faisait doublon avec la prise de la ville le 7 juillet 1667 - notre esquisse constitue un précieux témoignage de cette commande royale pour laquelle des répliques d'atelier avec variantes sont connues3.
1. J. Guiffrey, " Van der Meulen. Mémoire de ses travaux pour le roi depuis le 1er avril 1664 " et " Inventaire des tableaux et dessins trouvés chez lui, aux Gobelins, le 6 mars 1691 ", Nouvelles archives de l'Art français, 1879, I, p. 122.
2. Huile sur toile, 63 x 81 cm, Versailles, Musée national du château, inv. MV 5906.
3. Paris, Institut néerlandais, fondation Custodia, Huile sur toile, 61,8 x 93 cm, composition plus large avec détails supplémentaires à gauche et à droite (inv. 3595) et Douai, Musée de la Chartreuse, Huile sur toile, 74 x 92 cm, composition au même cadrage que celle de Versailles.