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Georges Moreau dit Moreau de Tours (Ivry-sur-Seine, 1848 - Bois-le-Roi, 1901)
La Morphine ou Les Morphinées
Estimate:
€15,000 - €20,000
Sold :
€529,800

Complete Description

La Morphine ou Les Morphinées
Huile sur toile (Toile d'origine)

Signée 'MOREAU (de TOURS)' en bas à gauche

The Morphine takers, oil on canvas, signed, by G. Moreau de Tours

Provenance:

Resté dans la descendance de l'artiste jusqu'à nos jours ;
Collection particulière, Paris

Exhibitions:

Salon de 1886, Paris, n° 1703 ("La Morphine")

Bibliography:

F.-G. Dumas, '1886. Catalogue illustré du Salon', Paris, 1886, p. 129
Guy de Maupassant, 'Chroniques', 1886,
'Supplément illustré du Petit Journal', 1891, p. 8
'Images et Psychiatrie. Repères et rencontres', Saint Cloud, 1990, p. 83 (illustration de la gravure d'après le tableau)
Jean-Claude Beaune, 'La Philosophie du remède', Seyssel, 1993, p. 41

Comment:
" L'abus de la morphine, c'est le suicide de l'intelligence, et c'est l'impuissance du corps. Comment cela fonctionne-t-il ? Oh mon Dieu, c'est bien simple. On est malade, on souffre des douleurs que l'on n'a pas le courage de supporter, le médecin arrive, on implore sa pitié ; il n'a pas la force de résister ou bien il craint que son client ne s'adresse à un confrère plus complaisant, il fait une piqure de morphine1. "

Au moment où s'ouvrit à Paris le procès de Wladimiroff, l'assassin de la riche héritière russe Madame Dida, le fléau de ce qui était désigné à la fin du XIXe siècle comme le " morphinisme " refait son apparition dans les débats nationaux. Ainsi en 1891, dans un article paru dans " Le Petit Journal ", c'est encore cette composition de Moreau de Tours qui illustre les propos du chroniqueur. Cette œuvre fut pourtant réalisée pour le Salon de 1886, mais près de cinq années plus tard, elle reste l'image iconique au service de la dénonciation d'une popularisation vertigineuse des narcotiques en France à cette époque.

Le peintre Georges Moreau est le fils du célèbre aliéniste Jacques-Joseph Moreau qui fut l'un des premiers de sa profession à étudier les produits narcotiques sous le prisme de la science. En effet, en France, durant la majeure partie du XIXe siècle, l'heure est aux expérimentations. Les produits psychotropes, qui ont vu leur usage se développer dans les cercles aristocratiques dès le XVIe siècle, se propagent largement dans la société contemporaine. Les révolutions politiques et industrielles qui secouent simultanément l'Occident contribuent à la mise en place d'un contexte favorable. Les guerres napoléoniennes furent par exemple génératrices d'une substantielle démocratisation de ces narcotiques : d'une part, les nombreux blessés étaient le plus souvent apaisés par un dérivé d'opium, provoquant une accoutumance fatale ; et d'autre part, la conquête égyptienne permit aux Français de découvrir une curiosité qui se répandra largement par la suite : le haschich. Au-delà de la France, c'est toute l'Europe occidentale qui prend goût à ces nouvelles substances. Les législations ne sont alors pas adaptées à ces nouveautés dont on ne sait encore rien ou peu de chose. Le haschisch est ainsi en vente libre. Désormais accessibles, les drogues deviennent un sujet pour les commentateurs de la vie courante, et parfois même une source d'inspiration pour les artistes, comme Moreau de Tours ou les écrivains, comme Charles Baudelaire. Les narcotiques jouissent alors d'une popularité ambiguë, dénoncés lorsqu'ils provoquent une addiction maladive, ils sont une marque de sophistication, presque un art de vivre, dans la haute société bourgeoise. Jacques-Joseph Moreau, qui fit le voyage en Orient dans le cadre de ses recherches, fut un pionnier dans l'étude de ces produits. Ainsi, il créa le fameux " Club des Haschischins " en 1844 auquel participèrent notamment Baudelaire, Théophile Gautier ou encore Delacroix, dans l'intention d'expérimenter et d'étudier les effets de cette drogue.

Georges Moreau de Tours grandit donc dans une atmosphère cultivée, où son talent précoce pour la peinture pouvait se développer au côté des plus grandes figures artistiques de son temps. A seize ans à peine, il expose pour la première fois au Salon et en 1870, il entre à l'Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris où il devient l'élève du réputé Cabanel. L'académisme de son professeur ne l'empêche pas de développer une liberté et une modernité dans la touche, largement emprunte de l'impressionnisme naissant. Sa formation classique et sa prédilection pour la peinture historique lui permettent d'obtenir des commandes étatiques de la toute jeune Troisième République.

En 1886, Georges Moreau est au fait de son art, témoignant d'une parfaite maitrise technique. Avec cette œuvre, il s'émancipe de sa formation académique par le choix du sujet et l'évolution de sa palette. Le sujet, éminemment d'actualité, est traité avec une arrogance provocatrice qu'incarne le regard de la femme à gauche, qui n'est autre que la femme de l'artiste, s'auto-injectant de la morphine à l'aide d'une seringue hypodermique inventée par l'écossais Alexander Wood en 1855. Son utilisation se répand malgré les dangereux effets secondaires et surtout un nouvel usage " passionnel " voit le jour, particulièrement chez les femmes. Certaines consommatrices effrénées, parfois atteintes de morphinomanie, furent alors baptisées " les morphinées " et devinrent les figures littéraires en vogue, nouveau prototype des féministes aux mœurs légères.

Avec " Les Morphinées ", Moreau de Tours nous livre un tableau ambitieux, mais surtout s'affirme comme un peintre de synthèse au milieu des rivalités stylistiques de cette fin de siècle. Sans jamais renier les leçons reçues chez Cabanel, il prête subtilement allégeance à la nouvelle modernité picturale insufflée par Edouard Manet vingt ans auparavant, et dont les impressionnistes sont alors les meilleurs prophètes.

1. Anonyme, " Les morphinées ", 'Le Petit Journal, Supplément illustré du Petit Journal', 21 février 1891, p. 8

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