Comment:
Cet important buste est à rapprocher d'un autre portrait dont l'auteur est lui aussi anonyme mais qui identifie formellement le modèle. Il s'agit du portrait en marbre de Jean-François Trouard de Riolle conservé à la mairie de Pont-à-Mousson dont il fut le dernier maire royal de 1774 jusqu'à la période révolutionnaire. Les deux bustes sortent vraisemblablement du même atelier. Très similaires pour les traits et l'expression du modèle, ils diffèrent cependant quelque peu dans leur exécution et leur composition. Le buste que nous présentons semble plus accompli, d'une magistrale taille dans le marbre, et les détails du costume et des carnations sont plus aboutis. Il s'inscrit stylistiquement dans la période qui voit Houdon imposer ses codes dans l'art du portrait. Ainsi Trouard de Riolle est ici représenté avec un savant mélange de noblesse et de naturalisme qui lui insuffle une impressionnante présence.
Ce portrait représentant l'homme d'une quarantaine d'années, l'air posé et presqu'arrogant, a probablement été réalisé autour de 1780, alors que le maire de Pont-à-Mousson est au faîte de sa carrière. Après avoir servi dans la Gendarmerie du roi jusqu'en 1758, il se reconvertit, à la suite d'une blessure, dans le négoce du marbre. D'esprit opportuniste et entrepreneur, il a compris les enjeux de la politique marbrière de l'époque. Connaisseur des différents types de marbres et des besoins colossaux d'approvisionnement des grands chantiers français, il devient vers 1778, l'intermédiaire entre les exploitants carrerais et de grands commanditaires, tels qu'Elie de Beaumont, propriétaire du château de Canon près de Caen, et le comte de Provence pour l'embellissement du château de Brunoy. C'est également entre 1778 et 1780, qu'il obtient la propriété d'un ancien domaine des chanoines réguliers de Pont-à-Mousson et qu'il est élevé au rang de " chevalier " par lettres patentes de Louis XVI. Assoir ainsi son appartenance à la noblesse motive sans doute son désir de faire exécuter son buste. L'année 1780 marque également un point d'orgue pour Trouard de Riolle désormais récompensé du titre de chevalier des ordres de saint Louis, de saint Michel et du saint Sépulcre de Jérusalem. Conseiller du roi, il est officiellement mandaté par le comte d'Angiviller, directeur général des Bâtiments, pour fournir et assurer le transport d'une importante livraison de marbres de Marseille jusqu'à Paris. Il apparait dans les archives comme un protagoniste capable d'endiguer la pénurie des marbres dans les stocks royaux à Paris. Cette dernière a pour fâcheuse conséquence le ralentissement de l'ambitieuse commande des Grands hommes de la France. Dans un contexte de tensions maritimes, de concurrence entre différents négociants et en raison d'une certaine légèreté de la part de Trouard, qui a voulu utiliser les canaux officiels de l'Etat pour son propre compte, l'affaire aboutit en 1782 à des surplus de dépenses et à un mécontentement patent de l'administration royale.
Cette aventure nuit probablement à la réputation du téméraire " négociant-chevalier " qui se concentre alors sur ses obligations de maire de Pont-à-Mousson en se lançant dans la reconstruction de l'hôtel de ville en 1787. Fidèle au Roi, il démissionna de son rôle de maire dès 1789 et s'engagea corps et âme dans la Contre-Révolution. Il fut arrêté à Bourgoin (Isère) le 8 juillet 1790 alors qu'il se rendait à Turin auprès du comte d'Artois. Il émigra ensuite en Autriche et mourut en 1806 en Italie après avoir échappé de peu à la guillotine.
Ce buste datable des plus brillantes années de la vie de Trouard de Riolle est un intéressant témoignage de l'usage " médiatique " du portrait sculpté au XVIIIe siècle. Ambitieux, mis en scène, Trouard de Riolle nous apparait ici dans toute la splendeur et la morgue de sa réussite.