Comment:
Dans l'ouvrage de référence de François Souchal, 'French Sculptors of the 17th and 18th centuries'(1), dans la section consacrée à Pierre II Legros, une entrée semble correspondre à la paire de statuettes ici présentées : " 51 52 Homer and Virgil Undated Terracotta 59 x 19 (…) Not identified or disappeared ". Souchal explique que ces sculptures sont mentionnées dans le catalogue de la vente d'Espagnac-Tricot, qui s'est tenue le 22 mai 1793 à Paris. Les deux œuvres y sont décrites au numéro 168 comme " Homère et Virgile, représentés chacun en pied, tenant l'un et l'autre un livre. Ces deux figures intéressantes sont drapées avec goût. H. 22 p., larg. 7p. " (2). Leurs mesures correspondent bien à celles des œuvres présentées ici. En revanche, les figures ne portent pas chacune un livre comme annoncé par Jean-Baptiste Pierre Lebrun (1748-1813), célèbre peintre et marchand, auteur du catalogue de la vente. Seul Homère, représenté comme un vieil homme barbu tient un livre ; Virgile, la tête ceinte d'une couronne de feuilles de chênes, également barbu, paraît plus jeune.
Il est très probable que le sculpteur a conçu ces deux œuvres comme des sculptures autonomes, destinées à orner le cabinet d'un amateur, et non comme des modèles en vue de la réalisation de grandes statues, dont il n'y a pas de trace (3).
D'un point de vue stylistique, les deux œuvres peuvent être rapprochées des grands marbres de 'Sainte-Thérèse' et 'Sainte-Christine' de la cathédrale S. Giovanni à Turin, datés de 1715-1716. Les figures, enserrées dans leurs drapés, semblent d'un canon compact identique à celui des deux poètes. De même pour les deux marbres de Saint Grégoire le Grand et de Saint Henri II de 1714-1719 conservées à Montecassino. Par ailleurs, dans les épreuves en bronze attribuées à Pierre II Legros représentant 'Flore et Cupidon' (4), le côté aigu et très dessiné du visage de 'Flore' rappelle celui de 'Virgile'.
Les deux terres cuites peuvent être datées du séjour parisien de l'artiste en 1715 :
- d'un point de vue stylistique, elles semblent correspondre à un caractère plus compact et plus rustique des œuvres de sa maturité ;
- d'un point de vue historique, l'idée d'une paire de poètes antiques répond au goût des collectionneurs parisiens passionnés de terre cuite.
Mais il est important de garder à l'esprit que trois éléments pourraient venir tempérer l'attribution à Pierre II Legros :
- Le caractère novateur de l'iconographie, puisque la tradition veut qu'Homère soit représenté avec une lyre, et Virgile une couronne de lauriers. Il reste surprenant malgré le contexte, et d'autres exemples ne sont pas connus.
- Le fait qu'il n'existe pas d'autres terres cuites connues de la maturité du sculpteur ce qui empêche toute comparaison poussée pour l'instant. En effet, si la sublime 'Religion terrassant l'Hérésie' (1695) du musée Fabre de Montpellier se situe beaucoup trop tôt, même le 'Saint Bonaventure' (vers 1702) du Metropolitan Museum of Art de New York, ou le 'Saint-Thomas' (1703-1704) du Los Angeles County Museum of Art ne peuvent nous éclairer sur sa production en terre cuite dans le deuxième quart du XVIIIe siècle.
- La nécessité de mener à bien une analyse de l'ensemble de ces terres cuites avec un restaurateur, en particulier pour comprendre sa manière de les construire (par exemple, le dos du Virgile est plein alors que le dos d'Homère est creusé).
1. t. II, p. 299.
2. Jean-Baptiste Pierre Lebrun, Catalogue des tableaux des trois écoles, de dessins, terres cuites, marbres, bronzes... [provenant des collections d'Espagnac et Tricot], par le citoyen Lebrun… la vente s'en fera le … 22 [sic] et jours suivans…p. 39, n° 168.
3. Par ailleurs, les grandes réalisations font plutôt la part belle aux sujets religieux.
4. Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage ; Toledo, Ohio, Toledo Museum of Art.