Manuscrit complet de 34 p. in-4, encre noire, non signé, deux petites étoiles encadrent le mot " rideau " in fine. [1928]
Le manuscrit est continu sur des pages de papier de diverses couleurs : bleu pale, parme, vert, blanc. Il est monté en tête un portrait de Berthe Bovy, de profil en buste, encre noire, non signé. Un texte manuscrit signé 1 p. in-4, 1930, de présentation de Berthe Bovy contemporain de la création de la pièce. Une lettre in-4, 1957 à Franz Weyergans concernant Bruxelles. Le manuscrit ne porte pas le titre définitif, mais il commence par une énigmatique page titrée : " Femme dévorée par une jeune fille " pour cause…
L'écriture de la Voix Humaine va être une réponse à l'échec d'Orphée. À l'intention de Ludmilla Pitoëff, créatrice du rôle d'Eurydice d'Orphée, Cocteau se mit à écrire un long " monodrame " : La Voix Humaine, une pièce en un acte inspirée par la " trahison " de Jean Desbordes, son amant qui le quitte pour une femme. Lors d'une conversation téléphonique, seule dans sa chambre, une femme amoureuse, abandonnée par son amant, tente de le retenir sans espoir. Pendant les silences on devine les réponses d'un homme invisible et indifférent. Dans un sobre décor signé Christian Bérard, sans costume, sans accompagnement musical, jamais Cocteau n'avait conçu un spectacle aussi dépouillé, aussi déchirant. La Voix Humaine, est actuellement, au XXI eme siècle, la pièce de Cocteau la plus joué, celle qui est la plus présente dans la contemporanéité.
Depuis quelque temps la Comédie Française faisait des propositions à Cocteau. Ce fut donc, le 19 mars 1929, à la sortie d'une nouvelle cure de désintoxication de trois mois et demi, que le poète fit une lecture de son manuscrit rue de Richelieu. Bernard Faÿ qui assistait à la lecture dira : " Nous en restâmes tous consternés, effrayés qu'il ait pu ressentir, exprimer et fixer une forme si particulière et si féminine de la souffrance humaine. " La pièce fut programmée le 17 février 1930. L'actrice choisie pour remplacer Ludmilla Pitoëff fut la sociétaire Berthe Bovy. Il l'a fit répéter pendant un mois, elle obtint un immense succès. Par contre la pièce souleva des controverses. Lors d'une première " générale intime ", dans une salle pleine à craquer, le poète surréaliste Paul Eluard qu'accompagnait le cinéaste Eisenstein, perturba le spectacle en reprochant à Jean Cocteau son homosexualité. Comme le rapporta Valentine Hugo : " Jean est enchanté. Il a eu son scandale ".
Ne résistons pas à retranscrire intégralement le magnifique texte sur Berthe Bovy écrit après sa performance dans La Voix Humaine : " Je ne conseille pas aux dramaturges qui collaborent avec Berthe Bovy de la manier comme un instrument ordinaire. Il serait dangereux de la mettre entre toutes les mains. Elle est dure et sensible, toute en nerfs et en os, construite comme un Stradivarius. Mais que dis-je, n'est elle pas son propre virtuose et ne donne t'elle pas en scène ce spectacle étrange d'un violoniste qui serait un violon, d'un instrument mystérieux, capable de se jouer lui-même. Jean Cocteau. "
Le manuscrit que nous proposons est à priori le seul connu de cette pièce de théâtre. Le titre n'a pas été encore trouvé.
Il comporte de nombreuses ratures et corrections. Cocteau a rajouté des paragraphes dans les marges perpendiculairement, des blocs de textes sont disposés de façon circulaire dans les pages. Il est remarquable de voir le travail de réécriture permanent et continu.
Retenons quelques phrases barrées encore lisible mais non retenues :
Page 17 : elle lui avoue qu'elle a vu une photo de sa compagne, Cocteau va supprimer les lignes sur la vision qu'elle a de sa rivale : " Je savais même si je ne te l'ai jamais dit pour ne pas gâcher tes dernières semaines, mais chez la modiste dans un magazine anglais j'ai vu la photographie de la jeune fille. Il y a quinze jours. Je n'en parlerai plus juste quand tu me le demandes. Mais je veux te dire que je la trouve très belle et digne de toi. Pourvu qu'elle sache. Quelle comprenne sa chance. "
Page 18 : elle commence à parler de la mort de sa mort, il supprime : " c'est un supplice, un supplice. " […] rajoute : " si tu n'avais pas téléphoné je serais morte. Non ne raccroche pas, ne me quitte pas. Ce fil c'est le dernier qui me rattache encore à toi /à nous / au bonheur. "
Page 19 et 20, elle cherche à s'épuiser à atteindre le bout, la fin : " alors ? Alors. Il faudra se cacher, se laisser tomber ou marcher. Marcher jusqu'à se laisser tomber par terre. "
Car je te parle de distraction. Pour me distraire il faudrait une souffrance physique - quelque chose qui me fasse très très mal. […] Oui folle - folle à toi. Folle folle. Je t'aime assez pour être heureuse ou te savoir heureux. Il faut être folle pour aimer. Je t'écrivais et je brulai les lettres. J'e t'écrirais sans envoyer les lettres. "
Ici apparait cette phrase, devenue une référence, Louis Aragon l'avait écrite sur un mur de sa chambre, Elsa la vit lorsqu'en novembre 1928 elle s'installa chez lui. Ici elle est barrée :
" LES GENS QUI AIME ECRIVENT SUR LES MURS. "
Page 30 : Arrive la fin du monologue, tout est dit, Cocteau supprime des détails, " On ne se tue / suicide pas deux fois. […] Je n'ai plus assez de forces, je déteste les armes à feu ".
Page 33 : " Je voudrais m'endormir le rêve serait que je m'endorme. Chérie encore une bêtise, mais même en admettant que je vive c'est un peu la volonté d'une mourante. "
Joint : l'affiche de la création à la Comédie Française, lundi 17 février 1930, montée in fine, pliée en huit.