En avril 1770, lors d'un diner chez Madame Necker, dix-sept illustres souscripteurs décidèrent de faire sculpter une statue monumentale de Voltaire. C'est Jean-Baptiste Pigalle qui fut choisi pour en être l'auteur. Enthousiasmé par cette prestigieuse commande, le sculpteur partit sans tarder pour Ferney accompagné de son mouleur afin de faire le portrait d'après nature du philosophe. Après huit jours de travail et de tentatives infructueuses, Pigalle réussit enfin à modeler le portrait de l'écrivain dans la terre crue. Il fit mouler sans tarder son œuvre et revint à Paris avec le moule. Dès son retour, il en tira un plâtre original qu'il présenta dans son atelier aux souscripteurs. Grimm, qui faisait partie de ses commanditaires, en fit alors cette description : " Pigalle lui a fait la tête droite, dans la statue elle sera même relevée et le regard tourné vers le haut. D'ailleurs le plâtre de Pigalle est simple, calme et d'un beau caractère, seulement je trouve qu'il a le regard un peu mélancolique, et comme s'il était travaillé par le spleen (1) ".
C'est ce même buste en plâtre, inédit car considéré comme perdu, que nous nous proposons ici d'identifier. En 1919, à propos de ce buste Rocheblave nous disait : " … un buste enlevé dans une seule victorieuse séance, après plusieurs essais désespérants. Ce morceau, hélas a disparu et cette perte est pour nous désespérante… (2)".
Le buste approuvé par les commanditaires, Pigalle se mit au travail et sculpta le grand Voltaire nu daté 1776 aujourd'hui conservé au musée du Louvre.
La statue du Voltaire nu suscita un jugement pour le moins mitigé et l'œuvre fut longtemps incomprise. Il n'est donc pas étonnant que notre plâtre, préparatoire à ce monument si décrié, ne fit pas l'objet de tirages ou d'édition connue, alors que l'image plus consensuelle que donna quelque temps plus tard Houdon du grand philosophe fut reproduite de nombreuses fois. Toutefois, grâce à l'étude de Guilhem Scherf (3), la statue de Pigalle sort de son long purgatoire et Henri Loyrette écrit " La statue intense et complexe est reconnue aujourd'hui comme l'un des chefs-d'œuvre du Siècle des Lumières ".
D'une grande nervosité malgré quelques usures, notre plâtre est plein de vérité et de vie, il possède de plus toutes les caractéristiques techniques d'un plâtre original ; ainsi, par exemple, ces traces accidentelles d'outils sur les tempes, conséquences d'un démoulage hâtif du moule à creux perdu.
La tête correspond à celle, plus relevée, du Voltaire nu et elle est identique à la gravure qu'en fit Thomas Holloway en 1788. Le rapprochement est tout aussi évident avec le buste en bronze, sans doute fondu par Pierre Philippe Thomire, élève et fondeur des oeuvres de Pigalle, aujourd'hui conservé au LACMA à Los Angeles.

1. Correspondance littéraire, philosophique et critique (…), Paris, 1812, p. 224
2. Samuel-Elie Rocheblave, 'Jean-Baptiste Pigalle', Paris, 1919, p. 277 à 288.
3. Guilhem Scherf, 'Pigalle : Voltaire nu', Paris, 2010