Sans lieu, sans nom, vers 1570. In-4 (210 x 135 mm. environ) de 1 f. blanc et 17 ff.n.ch. ; manuscrit à l'encre noire, très soigné, papier vergé, environ 26 lignes par page, texte en français, calligraphie flamande ; relié avec quatre autres pièces dont trois manuscrites et une imprimée (18 ff.n.ch., 16 ff.n.ch., 28 planches aquarellées dont une double et 2 ff.n.ch. + 7 ff. blancs) ; en tout 90 ff., reliure en vélin ancien, titre à l'encre sur le premier plat, dos et deuxième plat grossièrement renforcés avec du carton au XIXe siècle.
EXCEPTIONNEL MANUSCRIT INEDIT RELATANT UN VOYAGE DANS L'EMPIRE OTTOMAN EN 1570.
L'auteur, médecin flamand (1540-1571), issu d'une ancienne et illustre famille de la Flandre, " fut adjoint en 1570 à Charles Rym, seigneur de Bellem, ambassadeur de Maximilien II à Constantinople, probablement en qualité de secrétaire. Il rédigea la relation de son voyage, qui contient des détails intéressants sur les lieux qu'il a visités, les mœurs et usages des habitants, les faits auxquels il a assisté, etc… M. le baron de Saint-Genois parle de ce voyage dans la préface de son Mémoire sur Scepperus. Il l'attribuait à tort à Charles Rym ; mieux renseigné depuis la découverte du manuscrit, il se proposait de reproduire cette Relation dans ses Voyageurs Belges, quand la mort est venue interrompre ses travaux " (Aug. Vander Meersch, in : Biographie nationale de Belgique, tome II, p. 903).
Stéphane Yerasimos donne une chronologie détaillée du voyage, signalant les principales villes visitées, ainsi que les monuments et les curiosités notés par le voyageur. Partie de Prague le 13 mars 1570, la mission diplomatique passe par Vienne puis traverse la Hongrie et la Tchécoslovaquie avant de pénétrer en territoire ottoman et de visiter les mosquées et les caravansérails de Sokollu Mehmed Pacha (v. 1505-1579), grand vizir du sultan Selim II (1524-1574), souverain des Turcs à l'époque du voyage de Charles Rym et Jacques de Bracle.
Le séjour à Constantinople se déroule du 31 mai au 12 août 1570, ce qui donne lieu à la description de plusieurs monuments et œuvres d'art (colonne, serpents de bronze, mosquée, tombeaux, châteaux, etc.). Le retour se fait par la Bulgarie, la Serbie - les voyageurs sont détenus près d'un mois à Belgrade - et la Hongrie. La mission s'achève à Neustadt, en Allemagne, le 23 octobre 1570. Elle aura duré en tout un peu moins de cinq mois. Jacques de Bracle meurt en 1571, peu après son retour.
Le manuscrit, très lisible, est probablement une copie, comme l'indiquent les quelques ratures et reprises - elles corrigent plutôt des fautes de lecture que des hésitations de rédaction -, ainsi que les plis verticaux du papier servant de justification. L'ouvrage s'achève par un " Memoire pour noter ung peu les coustumes des Turcqs avecq leur ordonnance de vivre ".
LE MANUSCRIT EST ACCOMPAGNE D'UNE SUPERBE SUITE DE 28 AQUARELLES ORIGINALES GOUACHEES, LA PLUPART REHAUSSEES D'OR, REALISEES A L'EPOQUE DU VOYAGE.
Ces images représentant pour la plupart des personnages turcs en costume traditionnel, généralement exécutées par des artistes-imagiers, étaient destinées à être vendues aux voyageurs à destination de Constantinople, ou encore réalisées et écoulées dans la capitale de l'empire par des marchands occidentaux possédant leur propre stock de papier (ici un vergé provenant vraisemblablement du Nord de l'Italie). Toutefois, la présence du caravansérail de la légation pourrait suggérer une illustration originale, spécialement réalisée pendant la mission de Charles Rym. Les figures sont légendées en italien en regard des sujets représentés (écriture du XVIe siècle à l'encre noire), ce qui indique que les légendes ont été inscrites après que les planches ont été réunies et cousues, ou que ces dernières se présentaient en cahiers avant leur insertion dans le volume contenant la relation).
Parmi les sujets représentés dans ces figures charmantes, citons le caravansérail des ambassadeurs à Constantinople, le sultan Sélim II (debout et à cheval), le Mufti, les costumes de plusieurs dignitaires et militaires ottomans, un Persan, un Maure de Barbarie, une femme en burqa, une femme de Caramanie (Anatolie), une Bulgare, une girafe, etc...
Une hypothèse au sujet des légendes en italien. Jacques de Bracle avait quitté Constantinople en compagnie d'Eduardo de Provisionali, courrier et ambassadeur impérial auprès de la Porte, chargé de nombreuses missions diplomatiques et bon connaisseur de l'Empire Ottoman (c'est lui qui raccompagne à Vienne les anciens ambassadeurs lors de l'arrivée de Charles Rym). Si l'on accepte l'origine familiale - ou du moins intime - du présent manuscrit, et l'idée que cette copie (autographe ?) a été offerte par le voyageur à un proche ou à l'un de ses compagnons de voyage, pourquoi ne pas imaginer que les légendes ont été inscrites ou dictées après coup, pendant le voyage de retour, par l'italien Eduardo de Provisionali, très actif en Turquie entre 1564 et 1572 ? (sur ce personnage, voir Stéphane Yerasimos, op. cit., pp. 268-269).
On a en outre relié, entre le manuscrit et les planches, un cahier de 16 remarquables spécimens de papier de Turquie du XVIe siècle : un vergé fin satiné orné de motifs floraux et géométriques vert et rose pâle, visibles en transparence, et très délicatement nuancés. Titre en français à la plume au recto de la première feuille : " Papier de Turquie ". Sur les papiers turcs anciens, voir l'ouvrage de Nedim Somnez : Ebru. The Turkish Art of Marbling, 2007.
Enfin, on a placé au début du volume une transcription très soignée da la relation de Jacques de Bracle, calligraphiée dans une élégante écriture cursive du début du XIXe siècle (18 ff.n.ch., encre noire, 21 lignes environ par page). Le volume s'achève par une courte biographie de l'auteur : [2] pp., encre noire, armes des Bracle peintes en tête de la p. [1].
DOCUMENT DU PLUS GRAND INTERET, TRES HOMOGENE ET REMARQUABLEMENT ILLUSTRE, QUI SEMBLE MANQUER A TOUTES LES COLLECTIONS PRIVEES SUR LA TURQUIE ET L'EMPIRE OTTOMAN.
Sauf erreur de notre part, nous n'avons recensé que trois copies de cet ouvrage manuscrit dont la diffusion fut sans doute très restreinte et réservée à un usage familial. Deux exemplaires, dont l'original (?) portant la mention " écrit de sa main ", se trouvent à Bruxelles, aux Archives générales du Royaume, Fonds Lalaing 692, 8f (cf. Yerasimos) ; un troisième est relié dans un recueil généalogique conservé aux Archives communales de Gand.
Ensemble en parfait état ; seule la reliure, modeste, est endommagée.
Bibliographie :
Stéphane Yerasimos, Les Voyageurs dans l'Empire Ottoman (XIVe-XVIe siècles), Ankara, 1991, pp. 286-287.- Aucune copie dans les collections Blackmer et Atabey.