Comment:
Née à Anvers vers 1600, la représentation de cabinets où sont exposés de multiples tableaux, objets d'art ou de curiosité, presque toujours objets d'étude, peut être considérée comme un genre pictural à part entière, dont la paternité semble devoir revenir à Frans Francken II (1). Reflets de la prospérité des Pays-Bas sous le règne des archiducs Albert et Isabelle et de leur rôle important dans le développement des arts, ces toiles témoignent également de la vigueur du marché de l'art et de l'importance sociale de la pratique de la collection à Anvers au début du XVIIe siècle. Le collectionneur est le centre et l'ordonnateur de toutes les richesses amoncelées avec une sorte d'horreur du vide dans son cabinet et est ainsi mis en valeur dans une toile qui conservera en outre le souvenir de sa galerie ; celles-ci étant souvent dispersées après la mort de leur propriétaire.
Deux modes de représentations dominent : celui où le collectionneur est représenté au milieu de sa galerie, la présentant par exemple à des visiteurs, et celui où le cabinet devient le théâtre de l'allégorie. Ce second type fut particulièrement représenté par deux des artistes majeurs de la période, travaillant volontiers en collaboration sur ces œuvres : Pierre-Paul Rubens et Jan Brueghel l'Ancien. Notre 'Allégorie de la Vue et de l'Odorat' en est un témoignage. Elle reprend en effet une célèbre composition réalisée par ces deux peintres et d'autres collaborateurs vers 1618 en pendant d'une 'Allégorie de l'Ouïe, du Goût et du Toucher' (fig. 1) formant ainsi un cycle des Cinq Sens. Les deux tableaux, sans doute exécutés à l'intention des archiducs Albert et Isabelle, furent achetés à Jan Brueghel par la ville d'Anvers en 1618 pour être exposés au château de Tervuren dès 1619. Les avis de spécialistes divergent pour savoir si les deux grandes toiles aujourd'hui conservées à Madrid au musée du Prado, qui sont documentées en Espagne dès 1633, sont les originaux de Rubens et Brueghel ou des répliques d'atelier (2).
La version de l'Allégorie de la Vue et de l'Odorat que nous présentons est due au pinceau d'un artiste ayant travaillé dans l'atelier de Jan Brueghel et connu presque exclusivement pour ses répliques des tableaux du maître. La personnalité de Boets, dont l'orthographe du nom est encore à déterminer (elle varie en effet entre Boets, Booets, ou encore Booetz), est un intéressant témoignage des pratiques d'ateliers. Le tableau que nous présentons semble être la composition la plus ambitieuse qu'il ait copiée.
L'image est en effet spectaculaire. Les deux allégories représentées sous les traits de personnages féminins sont placées autour d'une table et entourées d'attributs permettant de les identifier : des fleurs aux subtils parfums pour l'Odorat et un miroir et une loupe pour la Vue. Elles sont placées dans une vaste galerie où percent quelques rayons de lumière et où l'on peut admirer quantité de tableaux des plus grands maîtres anversois, des sculptures principalement d'après l'Antique ainsi qu'une quantité d'objets précieux, d'instruments d'astrologie, de livres et d'objets de curiosités. Les deux putti et les deux petits singes à droite viennent égayer cet ensemble. Ce concentré de l'art flamand du XVIIe siècle est offert à l'œil du spectateur qui circule d'une figure à l'autre, remarquant sans cesse de nouveaux détails qui lui avaient d'abord échappés. L'amateur ne pourra s'empêcher de chercher à deviner les auteurs des toiles exposées ou de reconnaître les sculptures.
Le genre de la galerie peinte, qui " promet l'acquisition d'une galerie miniature pour le prix d'un seul tableau (3)", connaitra une grande postérité au XVIIIe siècle, notamment dans les représentations des vastes galeries romaines par Giovanni Paolo Panini.
1. Hans Vlieghe, Flemish Art and Architecture, New Haven et Londres, 1998, p. 203
2. Voir par exemple Anne T. Woollett et Ariana Van Suchtelen, Rubens & Brueghel. A working friendship, cat. exp. Los Angeles - La Haye, 2006, p. 94-96.
3. Pascal Griener, "Le monde dans une chambre. Collectionneurs et marchands ", in cat. exp. Le grand atelier. Chemins de l'art en Europe, Bruxelles, 2007-2008, p. 260.
Identifications et propositions d'identifications pour certaines des œuvres représentées :
1. Frans Francken II ( ?), 'Le Repas chez Simon'
2. Pierre-Paul Rubens, 'Satyres et léopards' (Montréal, musée des Beaux-Arts)
3. Pierre-Paul Rubens, 'Silène ivre' (Moscou, musée Pouchkine)
4. Pierre-Paul Rubens, 'La chasse aux tigres' (Rennes, musée des Beaux-Arts)
5. Giambologna, 'Hercule et le centaure'
6. D'après l'Antique, 'Le Laocoon'
7. Pierre-Paul Rubens, 'Le Jugement de Pâris' (Vienne, Dorotheum, 16 avril 2008, n° 302)
8. Lambert van Noort ( ?), 'La guérison de l'aveugle'
9. Joos de Momper, 'Paysage rocheux animé de personnages'
10. Andries von Eertvelt ( ?), 'Marine'
11. Frans Francken II ( ?), 'Crésus montrant ses trésors à Solon'
12. Hendrick van Balen, 'L'Adoration des bergers'
13. Pierre-Paul Rubens, 'Portrait de Charles le Téméraire' (Vienne, Kunsthistorisches Museum)
14. Pieter Brueghel l'Ancien, 'La Prédication de saint Jean-Baptiste'
15. Sebastian Vrancx, 'Scène de pillage'
16. Gaspar de Crayer, 'Portraits de l'archiduc Albert et de l'archiduchesse Isabelle' (Althorp, collection Spencer et Norfolk Museum, collection Chrysler)
17. Pierre-Paul Rubens et Jan Brueghel l'Ancien ( ?), 'Vierge à l'Enfant dans une guirlande de fleurs'
18. Jérôme Bosch ( ?), 'La Tentation de saint Antoine'