HERGÉ Georges Remi dit (1907-1983)
POP-HOP - UN LIVRE ANIMÉ TINTIN
LE TRÉSOR DE RACKHAM LE ROUGE
Encre de Chine, gouache et encre de couleur sur papier contrecollé sur carton pour la couverture de l’album Pop-Hop « Le Trésor de Rackham le Rouge », publié en 1970 aux éditions Hallmark / Rouge et Or. L’encre de Chine de la main d’Hergé, la mise en couleur réalisée par les Studios. 29,4 x 23 cm. Encadrée. Est joint le certificat des Studios Hergé.
Des dessins inconnus d’Hergé
Trois dessins en couleur d’Hergé dont on avait perdu toute trace, sont présentés dans ce catalogue. Il s’agit de trois petits chefs-d’œuvre à l’encre de Chine et aquarelle, datant de 1970 et réalisés par Georges Remi pour les albums animés L’Ile Noire et Le Trésor de Rackham le Rouge, édités par Hallmark. Voici l’histoire de ces tableaux tout à fait exceptionnels *.
Hergé et le roi des pop-ups
Début 1969, Hergé, son éditeur Casterman et l’éditeur américain Hallmark, conclurent un accord sur la réalisation et la distribution d’albums Tintin « animés » ou « pop hop » (pop-up books en anglais). Depuis Paris, l’affaire fut rondement menée par un certain F.C. Bloem, patron de Hallmark Europe. La même année, deux premiers titres étaient mis en vente, On a marché sur la Lune et Le Temple du Soleil.
Il faut dire que la maison Hallmark Cards était déjà à l’époque le plus grand fournisseur de cartes de vœux au monde et qu’elle venait de se lancer, avec une ambition certaine, dans l’édition de livres pour la jeunesse. À cet effet, la multinationale, dont le quartier général se trouve encore aujourd’hui à Kansas City dans le Missouri, avait racheté Graphics International, une firme spécialisée dans la réalisation de livres animés, fondée et dirigée par Waldo Hunt.
Ce « Wally » Hunt, qu’on surnommait « King of the Pop-Ups », resta quelques années au service du groupe Hallmark et s’occupa des premiers Tintin animés. Grand spécialiste en la matière, il envoya un petit mot à Hergé pour lui faire part de son enthousiasme lorsqu’il découvrit les premiers dessins de celui-ci, envoyés de Bruxelles en mai 1969.
Mais quelques mois plus tard, Hergé, lui, fit comprendre qu’il n’était pas très satisfait du travail réalisé par l’équipe de Graphics International à Kansas City. La finition des deux premiers albums était loin d’être parfaite et le père de Tintin n’hésita pas à envoyer ses remarques à Hallmark. Les deux parties se mirent néanmoins d’accord pour poursuivre la série, quitte à changer d’imprimeur.
La perfection, rien de moins
Hergé s’attaqua aux dessins pour les nouveaux titres, prévus pour les fêtes de fin 1970. Philippe Goddin décrit dans le tome sept de sa Chronologie d’une œuvre (page 316), comment le dessinateur s’y prit : « Si ses collaborateurs gèrent la création des deux prochains albums animés attendus par Hallmark, L’Ile Noire et Le Trésor de Rackham le Rouge, il valide les animations proposées et assure l’essentiel des dessins. »
Ce projet d’albums dérivés des Aventures de Tintin lui tenait à cœur, mais il n’était pas complètement rassuré. Car si le dessin est très important pour ce type de livre, la technique de l’animation l’est peut-être plus encore. Hergé créa des illustrations en couleur hors du commun pour ces deux albums, attachant de l’importance à chaque détail, et exigeant rien de moins que la perfection de ses coloristes, Josette Baujot et France Ferrari, ainsi que de Michel Demarets, responsable des maquettes et des animations. Mais le patron des Studios Hergé continua de s’inquiéter pour la qualité du travail à faire à Kansas City.
C’est à ce moment qu’apparut Byron McKeown, un jeune homme formé à l’académie du Missouri et engagé par Wally Hunt comme creative director de Graphics International. Entre le créateur belge et ce créatif américain le courant passa tout de suite. Les deux hommes partageaient ce même goût pour le travail bien fait, ce même souci de perfection, ce même amour pour le beau dessin. Dès lors, Byron McKeown s’occupa personnellement des pop-up books Tintin. Il envoya ses instructions et remarques à Paris pour les faire traduire à l’attention d’Hergé et reçut les indications et corrections de ce dernier à Kansas City. Les deux artistes communiquèrent intensément par courrier, télex et téléphone. Une complicité amicale s’installa entre eux.
À tel point que lors d’une visite au quartier général de Hallmark, à Kansas City, au printemps 1971, Hergé se rendit également au domicile de la famille McKeow, où Byron lui présenta son épouse Deanne et ses enfants. À son retour en Belgique, Hergé fit placer son nouvel ami sur la liste des personnes à qui envoyer les traditionnelles cartes de vœux des Studios Hergé et lui fit parvenir quelques albums Tintin dédicacés (en anglais). Il est vrai que grâce à Byron McKeown la fabrication et la production des albums pop-up Tintin s’améliorèrent considérablement.
L’aventure des pop-ups Tintin se poursuivit avec la réalisation des albums Le Sceptre d’Ottokar et Vol 714 pour Sydney, puis s’arrêta, fin 1971. Georges et Byron restèrent encore en contact pendant plusieurs années et lorsque ce dernier signala à son ami belge, qu’il avait encore une série de dessins originaux en sa possession — dont certains n’avaient même pas été utilisés ! — Hergé les lui offrit. Plus tard, et après un détour par l’Irlande, ces aquarelles revinrent en France.
De nombreux dessins inutilisés
Aujourd’hui, Artcurial présente trois de ces dessins couleur, tous réalisés par Hergé et son équipe en 1970 : deux pour Le Trésor de Rackham le Rouge et un pour L’Ile Noire. Ils ont été mis au net à l’encre de Chine et coloriés à la main à l’aquarelle. Le trait est fin et élégant, les couleurs vives et inégalées. Le lot ne contient qu’une petite partie des dessins des deux albums, mais une des couvertures en fait bien partie, et, plus extraordinaire encore, on y trouve un dessin qui n’a pas été retenu par l’éditeur Hallmark ! Il s’agit d’un tableau mettant le capitaine Haddock en vedette, dans la scène du combat imaginaire avec le pirate Rackham.
Selon Byron McKeown, certains dessins furent en effet refusés par Hallmark, non pour des raisons de qualité, mais uniquement parce que la maquette des albums animés changeait continuellement durant leur réalisation. Comme le nombre de pages était très restreint et les histoires à raconter plutôt longues, le découpage subit de très fréquents remaniements. D’où ces dessins « refusés » et, dès lors, inconnus d’Hergé. L’exemple présenté dans ce catalogue n’est donc pas un cas unique.
Plusieurs films noirs tirés durant la production des albums pop hop, et provenant de la même source, nous dévoilent d’autres scènes « éliminées par l’éditeur ». On y découvre, entre autres, une extraordinaire visite — étalée sur deux pages — du laboratoire du professeur Tournesol, réalisée pour Le Trésor de Rackham le Rouge. Ces dessins en noir et blanc démontrent d’autant mieux à quel point le père de Tintin s’est investi dans les albums pop hop. Mais que sont devenus les originaux d’Hergé dont sont tirés ces films ? Nul ne le sait. Raison de plus pour profiter au mieux des trois petits chefs-d’œuvre présentés dans ce catalogue.
(*) Les sources utilisées pour cet article sont la correspondance d’Hergé avec Hallmark et le témoignage de Byron McKeown.